De Vercors, mise en scène de Gilbert Ponté, avec Joël Abadie, Floriane Delahousse et Philippe Saïd. Au Théâtre Albatros à 10h45 du 7 au 30 juillet (relâches les 11, 18 et 25 juillet).
En 1942, Vercors, de son vrai nom Jean Bruller, publie clandestinement la nouvelle Le silence de la mer où il y évoque la résistance contre le nazisme. Cette nouvelle, inspirée de faits réels, il la dédie à Saint-Pol-Roux, poète assassiné après qu’un soldat allemand ait pillé son manoir avec tous ses écrits, violé sa servante et maltraité sa fille. Et pour crier à la résistance en ces temps où la France est en grande partie occupée par les forces allemandes, Vercors met en scène la plus grande arme des français à l’époque : le silence. Et ce silence, il les incite à le briser pour se battre et protéger leur culture et leur liberté. C’est un grand défi que s’est lancé Gilbert Ponté ainsi que ses trois comédiens, de traduire au théâtre tant de choses, tout en respectant le silence.
La scène comporte deux caisses qui feront office d’assise, une chaise, et en arrière plan, une table avec une radio. Des lumières tamisées amplifieront le malaise de ce silence toujours omniprésent et des changements de coiffure, d’accessoires vestimentaux ou de positions symboliserons le temps qui passe. Nous observons quelques petits accidents de parcours le jour où nous assistons à la représentation, notamment un livre qu’un déplacement dans la pénombre aura malencontreusement fait tomber à terre, où un bouton de la radio détaché par mégarde. Mais dans les deux cas, les comédiens surent l’incorporer à la pièce avec brio, à nous demander si cela ne faisait finalement pas partie de la mise en scène, et peut-être est-ce le cas, après tout ?
L’histoire est celle d’un homme (Philippe Saïd) et de sa nièce (Floriane Delahousse) qui, en pleine Seconde Guerre mondiale, se voient contraints d’accueillir chez eux un officier allemand (Joël Abadie) qui y demeurera six longs mois. Pour opposer leur résistance à son intrusion, l’oncle et la nièce feront le choix du silence. Pendant toute la durée de la pièce, nous observerons donc un dialogue à deux langages où Joël Abadie excellera dans la tenue de son accent allemand d’abord et dans son jeu poignant ensuite, et où Floriane Delahousse et Philippe Saïd exprimerons par un non-verbal silencieux toute l’ampleur de leurs pensées. Quel défi d’exprimer tant de fierté pour l’une et une certaine culpabilité pour l’autre, en conservant les lèvres closes. Et ce défi, ces deux comédiens l’ont réussi. Sans leur jeu muet finement interprété, le discours de l’officier allemand n’aurait pas autant d’impact. Face au silence, ce personnage cultivé, musicien à ses heures, nous offre alors une richesse touchante avec d’une part sa volonté innocente d’unir la France et l’Allemagne et son optimisme à se rapprocher de ses hôtes, et d’autre part sa profonde déception lorsqu’il s’apercevra, après une permission à Paris, que la véritable intention des allemands est tout autre. Alors qu’il avait échoué à briser le mutisme de ses hôtes tout ce temps, c’est finalement en exprimant toute sa désillusion et son désespoir qu’il obtiendra leurs premiers et leurs derniers mots.
Nous ressortons de cette pièce frappante les larmes aux yeux et le coeur lourd, mais riches d’une réflexion nécessaire que ce texte, comprenant les mots d’Anatole France portés par les lèvres de Philippe Saïd, nous aura inspirée. En effet, « il est beau qu’un soldat désobéisse à des ordres criminels« , car c’est seulement alors que le silence pourra être brisé. Sur ce, nous vous souhaitons « une bonne nuit« , mais n’oubliez pas demain matin de vous rendre au théâtre Albatros !