Scénario : David B.
Dessin : Eric Lambé
Éditeur : Casterman
Sortie : 28 août 2024
Genre : Roman graphique, Aventure
Eric Lambé. On sait son nom associé à celui de Philippe de Pierpont. Mais le Fauve d’or qu’ils ont remporté avec Paysage après la bataille n’a pas scellé leur collaboration dans le marbre. Du coup, le dessinateur belge s’en est allé butiner d’autres plumes. Et quelle plume ! David B. qui a cofondé l’Association et fricoté avec Joann Sfar, Lewis Trondheim et Christophe Blain – rien que ça – n’est pas n’importe quel quidam dans le petit milieu du roman graphique. Il n’en faut pas plus pour qu’on attende le duo au tournant.
Le début est prometteur. Enfin plus pour le lecteur que pour Nicolas qui, dans sa mission d’évangélisation de la tribu des Tupinambas, a échappé de près à une mort par cannibalisme. C’est sa voix qui a sauvé ses fesses. Les Indiens sont passés outre la haine initiale que leur inspirait le colon à la minute où ils l’ont entendu chanté. Il faut dire que le Tupinamba est bon danseur. Mais Villegagnon qui avait missionné Nicolas n’apprécie que moyennement cette nouvelle alliance, surtout quand elle se solde par un mariage métissé. Il envoie ses troupes à la recherche du traître. Persécutés par les menaces coloniales mais aussi indigènes, sans parler des créatures démoniaques qui hantent leur mythologie, les Tupinambas décident de fuir vers la « Terre sans mal », sorte d’Eden indien. Mais Nicolas, dont l’intégration se passait sans heurts – il avait même fini par manger du Portugais – est, lui, en proie aux doutes.
Malheureusement, malgré toute la bonne volonté du monde, il y a des sacrifices que le colon ne peut pas comprendre. Son esprit cloisonné par la religion et la science rejette ce qu’il ne peut rationaliser. Les démons des autres ne peuvent exister, si ce n’est dans leur imagination. Il aura beau essayer de fuir ce qui le rappelle au Vieux Continent, se libérant même de ses oripeaux, il ne peut échapper à un système de pensée qui a fleuri en lui, prenant racine dans ce qu’il est au plus profond. Pour autant, ce n’est pas une brochure sur l’impossibilité de la création d’un dialogue interculturel. C’est plutôt un constat ; celui qu’aucun peuple n’est au dessus d’un autre. Tout système de pensée est vain. Il n’y a pas de parti-pris qui glorifie soit les Occidentaux comme cela fut souvent le cas au Xxème siècle, soit les autochtones pour ne pas taire leurs traumatismes. Antipodes fonctionne à l’extrême inverse d’une pensée dualiste. Le monde est pluriel. Les méridiens sont nombreux. Et pour illustrer toute cette complexité métaphysique, le dessin naïf d’Eric Lambé. Une esthétique vintage un peu délavée, un indigo profond dont on doute qu’il fasse partie de la gamme CMJN, et quelques fonds piquetés quand ils ne sont pas hachurés. Le climat visuel est inhabituel et pourtant, on s’y blottit, dans la promiscuité d’une nuit tropicale. Les corps sont langoureux. Il dansent comme s’ils étaient en transe, agitant leurs bras interminables. Il y a quelque chose d’absurde dans leur proportion, leurs visages figés mais surtout dans l’affirmation obstinée de leurs croyances.