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    Une année sans été de Catherine Anne, mis en scène par Joël Pommerat au National

    Crédit photo : Elisabeth Carecchio

    Texte de Catherine Anne, mise en scène de Joël Pommerat avec Carole Labouze, Franck Laisné, Laure Lefort, Rodolphe Martin, Garance Rivoal

    Du 24 septembre au 28 septembre à 20h30 (15h le dimanche) au Théâtre National

    Avec Une année sans été, Joël Pommerat se lance dans un travail d’accompagnement : pour la première fois, il met en scène une pièce qu’il n’a pas lui-même écrite, créée en 1987 par son auteur, Catherine Anne, alors âgée de vingt-sept ans. Cette œuvre de jeunesse, Pommerat a choisi de la faire jouer par de jeunes comédiens, qu’il a pris le temps d’accompagner, de guider, de soutenir, pour monter ce spectacle. Ce désir de transmettre, de faire éclore le talent des autres, fait écho au contenu de la pièce, dans laquelle Catherine Anne pousse ses personnages vers l’âge adulte, entre ferveur et mélancolie.

    Nous sommes peu avant 1914, et le jeune Gérard, qui n’a pas encore vingt ans, annonce aux employées de l’entreprise de son père qu’il part à Paris afin de découvrir sa vocation d’écrivain et la vraie vie qui l’attend. Parmi les employées, la lumineuse Anna, qui a elle-même quitté son Allemagne natale, la terre de l’enfance et de l’attachement, l’incite à partir, à devenir lui-même, à ne soucier que de lui-même. Mais pour Gérard installé à Paris, l’inspiration et la révélation de soi-même comme jeune poète, tant attendues, sont longues à venir. Entre la jeune Lisette, bouillonnante et terrifiée à l’idée de s’ouvrir au monde, le mondain Augustin, prisonnier de ses postures de poète ironique à qui la vie sourit, et l’attente d’Anna vagabondant en Angleterre, Gérard cherche sa voie et sa voix. Tous ces jeunes gens, à l’orée de l’âge adulte, chercheront leur place, essaieront d’en faire une aux autres, tout en tremblant à l’idée de lâcher l’enfance et d’avancer dans le vide.

    Dès la première scène, l’atmosphère si personnelle et si reconnaissable de Joël Pommerat nous enveloppe, et ce style extrêmement maîtrisé dans son épure, baignera dans une parfaite unité toute la pièce. On est de nouveau saisi,  presque envouté, par son usage extrêmement précis de la lumière et du noir, rappelant à certains moments les lignes abstraites d’un Malevitch ou d’un Rothko en noir et blanc, à d’autres les clairs-obscurs bibliques de Rembrandt, qui donne l’impression d’éclairer les personnages à la bougie, mettant en évidence leur fragilité, leurs émotions vives et éphémères. L’habillage sonore, évoquant un bruissement, un murmure, renforce encore cette sensation de proximité, voire d’intimité, avec les moments que traversent Lisette, Gérard et les autres. En même temps, Joël Pommerat, avec ses fondus au noir souvent secs, insuffle une tension, une urgence à cet âge bref, au seuil des choix, où se tiennent ces personnages.

    On est particulièrement ému par les deux personnages féminins, comme deux faces d’un même désir de vivre, d’une même incertitude, interprétées par deux comédiennes bouleversantes : la jeune Lisette (Laure Lefort), poings serrés et visage crispé, coléreuse, intransigeante, habitée par le deuil de son frère et de l’enfance qu’elle peine à quitter, avide de donner et d’être aimée ; Anna (Garance Rivoal), plus âgée, plus libre, franche et généreuse, séparée de sa terre natale, en quête elle aussi d’un espace à elle.

    De ces relations et de ces quêtes individuelles où se mêlent la fièvre et la tendresse, l’angoisse du vide et le désir de se jeter dans le monde, quelque chose de fragile et de très pur se dégage. Car la pièce évoque un temps qui ne durera pas, ce temps où on pleure de ne pas avoir de point fixe, où rien n’est encore figé, ni même engagé, et cette saison sera d’autant plus courte que cette année-là il n’y aura pas d’été, la Grande Guerre s’apprêtant à faucher ces jeunesses émotives et palpitantes, aux mains apeurées et tendues vers l’avenir.

    Toutefois, malgré toute la finesse de la mise en scène et la résonnance très actuelle de ces jeunes gens en recherche d’eux-mêmes, on reste gêné par l’écriture assez maniérée, souvent trop emphatique, bien que plusieurs traits d’humour allègent le texte. On aimerait, pour peindre et nous faire croire davantage à ces existences hésitantes et avides, plus de naturel et de spontanéité dans le langage, moins d’auto-analyse. On aimerait sentir davantage leurs confusions et leurs tremblements. En somme, on aimerait plus de silence, que la lumière de Joël Pommerat éclairerait à merveille.

    Emilie Garcia Guillen
    Emilie Garcia Guillen
    Journaliste du Suricate Magazine

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