auteur : Wajdi Mouawad
éditions : Actes Sud
sortie : 20 août 2014
genre : Thriller
Dramaturge et écrivain de renommée internationale, Wajdi Mouawad, qu’on connaît plus spécialement pour avoir écrit Incendies, la pièce qui inspirera le film de Denis Villeneuve, nous offre avec Anima un roman d’une vérité poignante et insupportable. Pas étonnant donc qu’Actes Sud réédite, en format de poche, ce qu’on ne peut qualifier autrement que de chef-d’oeuvre.
Après être allé acheter du thon à la demande de Léonie, sa femme, Whahch Debch rentre chez lui pour trouver son cadavre cruellement mutilé sur le parquet de son salon. Alors qu’une enquête est ouverte pour tirer au clair cette affaire sordide, Whahch se lance, dans une réserve amérindienne, à la poursuite de l’animal qui a violé et abattu l’amour de sa vie. Il ne cherche pas la vengeance, seulement à voir le monstre. Car au fond de lui, s’est réveillée une blessure dont il ne soupçonnait plus l’existence.
Il est difficile de parler d’Anima sans dévoiler de pans de la complexité du roman et en déflorer le plaisir de la lecture. Premièrement, la structure narrative, parcellée en une multitude de points de vue offre la grande particularité du roman. En effet, ce n’est pas une seule voix qui raconte le voyage initiatique de Whahch mais bien une infinité d’yeux qui se braquent sur lui pour le suivre, le reconnaître et enfin l’apprivoiser. Jamais Mouawad n’épousera le point de vue de son « héros ». Mais sans se substituer à Whahch, il arrive, par le génie de son écriture, à dresser le portrait d’un homme des plus intime et des plus précis. En gardant une distance de sécurité par rapport à son personnage et à ses émotions, il en peint un portrait d’une force rare.
En passant d’observateur en observateur, il tisse au fur et à mesure des courts chapitres une trame narrative d’une subtile fluidité d’autant plus désarmante qu’elle est complexe, passant progressivement et sans qu’on s’en rende compte du fait divers à la radioscopie complexe d’une race qui en oubliant son animalité en a perdu son humanité : l’homo sapiens sapiens. Son regard clinique – il a fallu d’ailleurs à l’auteur près de 10 ans de recherches scientifiques pour établir son roman – finit par dépasser le stade de l’anecdote pour faire le récit de l’horreur dont sont capables les humains à l’échelle de l’homme et de l’Histoire. Et malgré tout, dans cet enfer, Whahch, reste le plus humain précisément car il est un animal au yeux des animaux.
En plus de la complexité technique et du génie narratif, Wajdi Mouawad fait montre d’un lyrisme d’autant plus puissant qu’il traite de l’abominable. Cette descente aux enfers dans la sauvagerie de l’humain forme un véritable chant grâce, d’une part, à son rythme, complexe et hachuré qui pousse à s’arrêter sur presque chaque mot et fait jouer les phrases à saute-mouton et, d’autre part, à la force de son lyrisme pour, alchimie subtile, transformer la prose en poésie, et atteindre ce qui est pour l’homme le plus rare et le plus précieux : la vérité.
Poésie de l’abominable, de l’animal, Anima accroche dès les premières lignes les crocs d’une bête qui ne desserrera sa mâchoire qu’au dernier souffle du roman. Alors que les premiers paragraphes semblent déjà atteindre le summum de l’horreur, Wajdi Mouawad ne fait que nous donner un avant-goût de la bestialité de l’âme humaine qu’il dépeint, s’enfonçant toujours plus profondément dans les méandres de l’inhumanité de l’homme.