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    Anima Ardens ou des hommes et des loups au Varia

    De La Compagnie Thor, chorégraphie de Thierry Smits, avec Jari Boldrini, Peter de Vuyst, Michal Goral, Davide Guarino, Valentin Braun, Gustavo Monteiro, Bruno Morais, Emeric Rabot, Nelson Reguera Perez, Theo Samsworth et Olivier Tida Tida

    Du 6 au 29 octobre et du 30 novembre au 10 décembre à 20h30 au Varia (locaux de la Compagnie Thor)

    Anima Ardens, le nouveau délire lyrique de la Compagnie Thor, présenté dans leur propre studio de répétition, rassemble sciemment onze danseurs de diverses origines qui, dans une constante nudité, mettent à mal les limites de leurs propres corps.

    Le spectacle émotionnel s’ouvre sur les danseurs quasi immobiles, vêtus de draps blancs translucides posés sur leurs têtes, et avec lesquels ils effectuent toute sorte de mouvement. Ils parviennent, à travers le choix minutieux de leurs pas, à donner à la matière un double état oxymorique. D’un côté elle semble légère, flottante, rêveuse ; d’un autre, elle apparaît comme lourde, pesante, inerte.

    Suite à un cri d’anhélation, les danseurs enlèvent leurs draps. Leurs corps nus se déplient, s’agitent, vibrent, gesticulent, se balancent d’avant en arrière. Ils s’étouffent, se disloquent, se montent, s’imbriquent, se mutent, se transfigurent, se réinventent. Ils deviennent automates, indépendants des acteurs qui les habitent, et ils agissent aux stades les plus instinctifs. À travers cet état corporel primitif, devient possible la transcendance vers un autre niveau de conscience. Dotés d’une énergie inépuisable, les danseurs continuent à pousser encore plus loin les limites de l’expérience corporelle qui monte en crescendo jusqu’à atteindre un état de transe chamanique.

    Signifiant « âme brûlante », Anima Ardens tente d’aller au-dessus du terrestre en offrant au spectateur un spectacle qui le soulage du poids du présent. Thierry Smits a voulu ainsi créer une sorte de tribu masculine moderne, où la fragilité du corps mâle cherche à dépasser l’image machiste. La théâtralité de la danse en tant que rituel la transforme en un « chronotope », en un espace-temps hors de l’ordinaire qui va tenter d’avoir un impact sur le spectateur, en un non-lieu où l’on va se réunir pour vivre ensemble l’expérience de la transcendance.

    Le spectacle revisite cette idée de la performance qui investit la notion du corps dans une réalité concrète face au regard d’un spectateur. Il ne s’agit pas seulement de jeu d’acteur, mais aussi, et surtout de son dépassement : les danseurs ne jouent pas la souffrance, mais ils souffrent vraiment. Entre les danseurs et le spectateur s’effectue alors un transfert d’énergie dans l’ici et le maintenant.

    La scénographie ramène le minimalisme à son paroxysme : elle épure les danseurs de leurs habits et le plateau de tout accessoire, jusqu’à le transformer en un nuancier de couleurs de peau contrastant avec le blanc de la scène. Les corps qui épousent l’espace en deviennent une partie intégrante.

    Quant à la scénographie musicale, elle se base sur des sons naturels trafiqués. Les simples bruitages de la pluie, le bourdonnement des insectes et la fureur du vent valident, voire déclenchent, cet état primitif du corps. Les sons qui émanent de la gorge des acteurs, oscillant entre cris, balbutiements et des « ondes humaines », rappellent le mythe de l’enfant sauvage.

    Anima Ardens n’est pas simplement un spectacle de danse, ou une pièce de théâtre. Il s’agit d’une performance, dans le sens théâtral du terme, où « Le Corps » redevient vecteur de l’instinct, loin de tout artifice.

    Patrick Tass
    Patrick Tass
    Journaliste du Suricate Magazine

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