D’Ahmed Ayed, avec Hamza Damra et Tim Clijsters. Du 19 avril au 27 avril 2024 au Théâtre de la Vie. Le spectacle sera repris les 5, 6 et 7 Décembre 2024 aux Brigittines, en avril 2025 à Central, La Louvière, et en mai 2025 aux Halles de Schaerbeek.
Une batterie occupe le centre de la scène, devant un grand miroir déformant. Deux hommes, la tête emmaillotée dans une sorte de casque en papier aluminium, devisent tandis que le public prend place. « Ok, guys, let’s go ». Ils se tournent vers les spectateurs et les saluent.
Un des deux hommes s’installe à la batterie non sans heurter le micro avec son casque. Il s’essaye maladroitement, à l’aveugle, à faire résonner fûts et cymbales, tandis que son comparse n’est pas plus convaincant dans son rôle de danseur. Manifestement aucun des deux n’est à sa place. Mais ils ne tirent pas le supplice en longueur. Ils enlèvent leurs coiffes et inversent les rôles et retrouvent, manifestement, chacun leur rôle de prédilection.
Le batteur et chanteur Tim Clijsters s’empare de son instrument tandis que le danseur et chorégraphe palestinien Hamza Damra prend possession de l’espace. Loin des tâtonnements erratiques du préambule, la batterie insuffle une énergie sauvage tout entière absorbée et restituée par le corps du performer. Ces deux-là ne se quittent pas du regard, ni du tempo. L’échange est permanent et la symbiose réelle pousse ce corps en mouvement vers des situations proches du déséquilibre, de la rupture.
La batterie électrise le danseur dans de courts sets débordant de puissance. Tour à tour, ils vont se dévoiler un peu, parlant chacun de son prénom. Tim, de Timothée, pour le premier qui remonte aux origines de son patronyme. Hamza, pour le second qui disserte sur la nécessité de prononcer, ou non, le « H ». Un peu comme si les artistes déclinaient, par la parole et par le corps, différentes versions d’eux-mêmes.
Dans une accalmie, le batteur et le danseur font des grimaces face au miroir avant de changer d’apparence, en enfilant des cagoules ornées de paillettes et transformant les pièces de vêtements qu’ils portent. Ils se mettent en devoir, ensuite, de démantibuler complètements la batterie, éparpillant fûts et cymbales aux quatre coins de l’espace scénique.
Le titre de la pièce, And nobody else est directement inspiré de Peer Gynt, d’Henrik Ibsen. Dans ce voyage initiatique narrant les aventures d’un anti-héros en quête de rêve et d’identité, la devise du personnage principal est: « Sois toi-même et personne d’autre ».
Pour l’auteur, chorégraphe et metteur en scène Ahmed Ayed, cette pièce a été un point de départ, « un ouvre-boîte vers des questionnements » sur l’identité et la liberté. Il questionne la liberté d’être soi, et pas un autre, au- delà des masques que l’on s’impose, des comportements, professionnels, culturels ou sociaux, dans lesquels nous sommes enfermés. Pouvons-nous atteindre notre identité profonde alors que nous ne faisons que jouer des rôles, librement choisis ou imposés ?
Les deux interprètes sont dans le changement perpétuel, testant des costumes, des attitudes, à la recherche de leur identité propre. Tim Clijsters (qui n’est autre que le chanteur et batteur du groupe bruxellois BRNS) impressionne par sa maîtrise vocale et rythmique. Hamza Damra n’est pas en reste et déploie sa corporalité et son sens du mouvement jusqu’à l’épuisement. Les deux, portés par une énergie sans faille, auraient suffit. Hors la danse et la batterie, les digressions prennent parfois des allures de remplissage.