America
de Claus Drexel
Documentaire
Sorti le 4 juillet 2018
Impossible de l’ignorer : en 2016, se jouent les élections les plus houleuses que l’Amérique n’ait jamais connues. Et devant l’opportunité artistique que représente un tel événement, témoignant clairement des divisions culturelles et idéologiques qui habitent et affaiblissent la plus grande puissance mondiale, le réalisateur allemand Claus Drexel n’hésite pas à mettre les voiles. Cap sur Seligman en Arizona qui, en plus d’offrir des paysages époustouflants, compose avec une population isolée et délaissée, exactement celle à qui s’adresse le futur président Trump. Et c’est à travers le discours de ces gens que Drexel va venir questionner la situation des États-Unis.
Entre l’amoureux des armes à feu, l’ancien pasteur accidenté, et les jeunes parents plein d’ambition, ceux que Drexel interroge forment ensemble une véritable communauté de « jouets cassés » qui vivent comme ils peuvent malgré les infortunes, la solitude et le manque d’argent. Et même si America ne propose malheureusement qu’un seul regard, celui de la précarité – et si ce misérabilisme filmé de la « main supérieure » de l’Européen moyen est certes critiquable – le documentaire tente néanmoins de casser les idées reçues par la pluralité des points de vue politiques et idéologiques qu’il offre à voir. Ce sont peut-être tous des laissés-pour-compte, mais tous n’ont pas forcément voté Trump, et ceux qui ont voté pour lui ne l’ont pas forcément fait avec la même ardeur, ni pour les mêmes raisons.
Mais finalement la vraie force du documentaire n’est pas la thématique qu’il aborde, bouillante mais déjà un peu trop vue, mais bien la manière dont il l’aborde : en alternant passages de dialogue et scènes de paysage filmées en grand angle et plan fixe. Et par ce mécanisme, Drexel fait d’une pierre deux coups, il donne à voir la beauté de l’Arizona et il renforce son discours par l’image en exploitant au mieux les notions de temps et d’espace. De fait, l’une des idées fortes du film est de présenter la vie de ces hommes et de ces femmes qui appartiennent à ces bleds paumés longeant la route 66 et qui, mis à l’écart, apprennent à aimer et à investir cette terre de solitude et d’indigence, ce qui prouve que d’emblée l’espace occupe une véritable place dans le propos du film. Quant au temps, entre les histoires vécues par les protagonistes, celles qui les ont poussées à emménager en Arizona ou au contraire à ne jamais le quitter, et les promesses électorales qui renvoient directement à l’espoir d’un futur meilleur, il est facile de deviner l’importance qu’il revêt. Et c’est exactement ce que nous racontent les paysages sans vie que nous propose Drexel. Que ce soit de grandes étendues arides ou des carcasses d’habitations, ces images paraissent figées en un seul endroit. Elles nous racontent la vraie histoire d’un lieu et de ses habitants, tout en évoquant le temps qui s’écoule.
D’ailleurs, le cadrage des paysages renforce d’autant plus cette idée du rapport au lieu et au temps, car le cadre délimite ce qui nous est donné à voir mais nous permet d’imaginer ce que nous ne connaissons pas, le spectateur étant un peu placé dans la peau de cet homme qui se donne de manière exclusive à une seule terre, comme il se donnerait à une seule femme.
Et finalement, c’est donc tant par le discours que par ce qu’il nous offre à voir – ce qui témoigne d’un très bon rapport entre le propos et l’image – que Drexel parvient à vraiment rendre justice à cette Amérique, belle mais révoltée, et trop souvent laissée de côté. Néanmoins, un petit défaut à souligner tout de même serait que les armes à feu sont mises au centre des débats et évincent un peu d’autres sujets de société qui auraient pu être mieux abordés en rapport avec les élections de 2016 comme l’éducation ou encore les relations à l’international.