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    « Alien : Romulus », trait d’union

    Alien : Romulus
    de Fede Alvarez
    Epouvante-horreur, Science-Fiction
    Avec Cailee Spaeny, David Jonsson Fray, Archie Renaux
    Sorti en salles le 14 août 2024

    On attendait cet Alien : Romulus avec un mélange de crainte et d’excitation. De crainte, car ce film est le septième d’une saga ayant démarré il y a maintenant quarante-cinq ans, et qui nous a offert le pire (Alien, la résurrection, Jean-Pierre Jeunet, 1997) comme le meilleur (Aliens, le retour, James Cameron, 1986). D’excitation, car on retrouve aux manettes de ce long-métrage le prodige uruguayen Fede Álvarez, réalisateur de l’excellent Don’t Breathe, et auteur d’un remake efficace d’Evil Dead de Sam Raimi. La délicate tâche lui incombait donc de s’inscrire dans une mythologie saturée par cette succession de suites, tout en imprimant à ce nouveau volet de la franchise son identité propre.

    Choix stratégique, le cinéaste délaisse les personnages usés de la tétralogie initiale et de ses suites au profit de nouveaux, mais fait néanmoins de ce long-métrage un trait d’union entre le film original de Ridley Scott et sa suite directe. En 2142, Rain est ouvrière dans une colonie terrestre sur une planète qui ne connaît pas l’ensoleillement. Elle est exploitée comme ses semblables par la société Weyland qui les maintient sous son joug en leur faisant miroiter un droit au voyage qui ne cesse de s’éloigner. Avec un groupe d’amis, elle tente de s’emparer d’un vaisseau abandonné qui dérive dans l’espace dans l’espoir de rallier une région de l’univers libérée de l’oppresseur. Un standalone movie donc, qui revient aux débuts de la franchise sans devoir s’épuiser à constamment rattacher les wagons, et qui promet également un retour à sa facture artisanale puisqu’effets pratiques, miniatures et animatroniques sont au rendez-vous.

    La station Romulus est filmée comme un organisme vivant dans lequel les protagonistes vont s’introduire. Leur progression en son sein se fait via des portes rondes s’ouvrant et se fermant comme des diaphragmes, donnant à ces étroits couloirs l’apparence de boyaux digérant lentement ses proies. Cette dimension organique du décor est d’autre part soulignée par une photographie très sombre, uniquement rehaussée par des lumières rouges-orangées. Si la teinte dominante change par rapport au premier film – Alien était marqué par des ambiances verdâtres -, force est de constater que ce nouvel opus de la saga s’inscrit dans la continuité de la direction artistique imaginée par Ron Cob et H. R. Giger, intérieurs gothiques contaminés par la matrice charnelle et visqueuse du xénomorphe. Mais la proposition d’Alvarez effectue également le lien avec Aliens, qui se distinguait de son prédécesseur par un design plus utilitariste et industriel.

    Ce soin apporté à la direction artistique fait de cette station spatiale le théâtre d’un huis-clos étouffant que le travail de mise en scène d’Álvarez vient sublimer. Fréquemment filmés en gros plans, face caméra – élargissant de fait l’espace alloué au hors champ qui alimente le suspens -, ses acteurs apparaissent comme des rats pris au piège d’un labyrinthe se refermant inexorablement sur eux. Et, lorsque l’horreur advient, la créature se trouve le plus souvent déjà à l’intérieur du cadre, tapie dans l’ombre, se faisant connaître uniquement par sa volonté de se mouvoir et de fondre, inévitablement, sur sa victime impuissante. Manière de déjouer nos attentes de spectateurs et de pérenniser la tension, puisque la menace invisible est potentiellement partout, tout le temps.

    Dans une scène géniale, Rain, Tyler et Bjorn font face à une pièce remplie de facehuggers, créatures aveugles à l’ouïe surdéveloppée. Devant impérativement la traverser, sans émettre le moindre son qui signerait leur arrêt de mort, Tyler doit néanmoins guider sa sœur par téléphone, poursuivie de son côté par un xénomorphe. Infaillible dans son utilisation du design sonore et dans son montage alterné, cette séquence rappelle également qu’Alvarez était un candidat de choix pour mettre en scène cet Alien, lui qui filmait déjà l’enfermement claustrophobique d’un groupe de jeunes prisonnier d’une maison plongée dans l’obscurité dans Don’t Breathe. En ramenant la licence du côté de l’horreur, le cinéaste s’approprie le matériau, tout en s’inscrivant pleinement dans l’univers  original dont Ridley Scott posa les fondations.

    Mais les aliens ne sont pas les seuls danger à bord : cyber-frère de Rain, Andy est rallié à la cause de la société Weyland par le biais d’une reprogrammation de son système, et fait tout en son possible pour préserver le travail de recherche de la firme, au détriment de la survie de ses congénères. Si la mise en garde contre l’autonomie de la machine à l’ère de l’IA démocratisée ne parait ni très neuve, ni particulièrement inspirée, la dépiction critique d’individus broyés par le grand capital raccorde parfaitement avec l’œuvre de Scott, qui peignait déjà l’équipage du Nostromo en prolétaires sacrifiés sur l’autel du profit. Devant affronter simultanément l’entité alien et une entreprise techno-autoritaire, l’héroïne et ses camarades figurent une humanité désespérée en quête d’une porte de sortie qui ne cesse de se dérober. Perdu entre un ailleurs synonyme de mort et un ici cauchemardesque, Alien : Romulus réussit le petit tour de force de revenir aux origines du mythe tout en livrant un propos noir, sans concession, sur notre présent.

    Arthur Bouet
    Arthur Bouet
    Journaliste

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