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    Alexis Goslain : « On ne peut pas tout prévoir en théâtre, c’est un travail d’échange »

    Auteur, metteur en scène et comédien, Alexis Goslain nous fait découvrir les ficelles de son métier, à l’occasion de son prochain spectacle La Revanche d’Ingrid qui sera jouée au Théâtre de la Toison d’Or à partir du 31 janvier.


    Quel était ton objectif au début de ta vie artistique ? Est-ce que tu avais prévu de devenir metteur en scène ?

    Non non parce qu’à la base j’étais acteur, donc moi je me voyais plus avoir une carrière d’acteur évidemment. Après, par la force des choses cela m’a plus plu de réaliser. Je crois que les choses se font naturellement, cela ne m’empêche pas de jouer de temps en temps mais je suis moins carriériste dans le sens acteur. Pour la mise en scène j’ai peut-être plus d’ambition de me dire : qu’est-ce que je pourrais développer moi de mon côté…

    Ici même sera bientôt jouée La Revanche d’Ingrid, que tu as co-écrite et mise en scène. D’où est venue l’idée pour cette pièce? Comment est née la collaboration avec Xavier Elsen et Amélie Saye ?

    On avait déjà écrit une pièce ensemble, il y a quelques années, qui s’appelait Patrick, mais c’était joué en café théâtre et on ne l’a pas jouée beaucoup. En fait après le conservatoire, ce groupe-là [en indiquant les comédiens en répétition de la pièce La Revanche d’Ingrid] comme le mien, à l’époque on a fait du café théâtre ici, on a créé, pendant quatre ans, et les autres ont fait quatre ans… Après on s’est mélangés à un moment et on a crée Patrick avec Xavier, Amélie et moi à l’écriture. Ça a marché à l’époque, mais c’était compliqué d’avoir quinze personnes et c’était un projet comme on peut en faire de temps en temps mais sans suite. Ici Nathalie Uffner nous a donné carte blanche pour refaire quelque chose, avec ce groupe-là qui avait fait Enfer, Purgatoire avec Dominique Bréda, et ils ont proposé que Amélie, Xavier et moi on réécrive un truc dans ce même style, qui est complètement loufoque et absurde.

    Comment se passe la co-écriture? Chacun travaille de son côté sur un thème choisi ensemble, pour ensuite mettre en commun le tout? Ou organisez-vous des réunions pour réfléchir ensemble en directe sur l’écriture?

    Là comme c’est une histoire sur trois époques il fallait une trame solide ; la structure narrative était importante, il y a beaucoup de personnages. Nous devons gérer dix-huit personnes dans une histoire d’une heure et demi, donc c’était ça le challenge. En sachant aussi que nous voulions faire un spectacle un peu « performance », avec les comédiens qui sortent et se changent à une vitesse excessive pour pouvoir jouer à une autre époque… Donc à la base on a fait des plans, et puis moi je me suis lancé. C’est difficile d’écrire à trois, en fonction des plans j’ai essayé de proposer des scènes, on était sur drive et on s’envoyait les scènes, on se recorrigeait, on se voyait,…etc. Je crois qu’on a fait dix versions.

    En partant de cette pièce-ci, mais aussi par exemple de La Revue des Galeries, y a-t-il des valeurs qui te tiennent à cœur, ou des messages, que tu cherches à transmettre au public à travers ton métier ?

    Disons que je crois qu’au niveau des messages les gens prennent ce qu’ils ont envie de prendre, je ne suis pas là pour être moralisateur. Et puis les messages en comédie c’est pas récurrent, ici en l’occurrence il n’y en pas du tout. Je sais dans quoi je suis, je suis au service d’une production, donc quand on m’appelle je m’adapte. Comme pour La Revue des Galeries, on est venu me chercher alors je m’adapte à un certain style. Là je me mets en scène en même temps qu’ici La toile d’araignée d’Agatha Christie, et c’est encore un autre style, donc je me colle à l’univers. Si j’ai envie de défendre un truc c’est le théâtre populaire. J’ai fait Villers, je fais un théâtre pour tous, pour tout public. Je le fais en fonction de ce que moi je voudrais voir au théâtre et par rapport à mes références. Dans La Revanche d’Ingrid il y a plein de références aux années 80. Je parle aussi aux gens de ma génération. Peut-être que certains trouveront ça ringard, par rapport aux plus jeunes. On est toujours le ringard de quelqu’un, mais voilà, j’essaie de faire du théâtre populaire et qui plait, du théâtre drôle. Après c’est pas pour ça que j’ai envie de faire « pouèt pouèt » tout le temps. C’est quand même très difficile la comédie, parce qu’on ne sait pas toujours d’avance où ça va marcher.

    Au niveau du choix des comédiens, comment cela se passe-t-il ? Tu as une idée bien précise de quel personne incarnerait bien tel ou tel personnage ?

    Ici c’est leur groupe, mais généralement quand on fait une distribution, on a une idée de ce qu’on aimerait bien. Puis, j’en discute avec le producteur ou le directeur, et c’est un arrangement, de la négociation. J’ai plutôt de la chance parce que je ne suis jamais tombé sur des équipes de m**de, je travaille avec des chouettes gens.

    Et en tant que comédien as-tu souvent trouvé des liens entre un personnage que tu jouais et ta propre personnalité? Ou y-a-t-il des rôles qui t’attirent parce qu’ils sont très différents, comme un défi ?

    J’ai plutôt envie que le personnage ait quelque chose que je lui apporte. On m’appelle pour des choses qui correspondent à mon style, donc plutôt contemporain. On m’a aussi souvent appelé pour faire des dépressifs, des homosexuels…je me dis que c’est parce qu’on me voit un peu dépressif et homosexuel ou j’en sais rien, alors que je ne le suis pas du tout. Après j’ai eu la chance d’avoir des auteurs comme Dominique Bréda qui on écrit des choses pour nous, et donc qui partent aussi de nous, ils pensent à nous dans l’écriture. L’année passé  je

    devais interpréter le personnage de Gildal, je ne voulais pas faire du copier-coller mais j’ai dû l’écouter, je voulais partir de quelque chose d’un peu plus éloigné de moi, moins nerveux, plus posé avec la phrase qui part bien….donc voilà.

    Sur scène, est-ce qu’il t’arrive d’attraper un fou rire devant le public?

    Oui ça m’arrive, parce qu’en plus je suis un rieur, d’ailleurs je n’aide pas souvent mes camarades parce que j’ai vite l’oeil qui pétille. Mais j’essaie de faire le plus professionnel possible. Le fait de rire sur scène ça n’inclut pas le public, après ça peut les amuser parce que ça part d’un accident. Je connais des gens qui provoquent les fou rires et ça c’est pas très intéressant. Mais quand ça arrive faut le gérer, il faut que ça sorte et puis on continue. Ça ne m’est pas arrivé mille fois, mais quand on a Laurence Bibot à côté de soi c’est parfois difficile. C’est un travail de concentration…

    Comment es-tu en tant que metteur en scène ? Strict ? Relax ? Comment gères-tu les éventuels fou rire des comédiens, les disputes, les stress? Comment procèdes-tu pour équilibrer les différentes énergies ?

    C’est une bonne question, parce que là je suis un peu dans la remise en question. Je ne suis pas du genre dictateur en tant que metteur en scène, parce que comme je suis acteur je sais ce que c’est. Donc je vais mettre en confiance, je vais rassurer… Après il y en a qui reprochent que c’est un peu trop cool ; il y en a qui ont besoin justement qu’on les bouscule. Sauf que moi je ne suis pas prof, je ne suis pas flic, chacun connait son taf, son texte…Mais généralement s’il y a un stress ça se règle calmement. Je préfères toujours en parler. Après, comme tu disais bien, c’est vrai qu’il faut gérer toutes les énergies. C’est pas que les comédiens qu’il faut gérer. Être metteur en scène c’est régler que des emm**des. Faut diriger au mieux les comédiens, il faut y associer la technique, il faut que tout le monde soit concerné, c’est un travail collectif. Il n’y a pas de secret, si on travaille ensemble, si tout le monde se comprend, l’important c’est de se mettre sur la même longueur d’ondes et dans le même univers. Il faut que la machine se mette en route et que tout le monde soit conscient de ce qu’il est occupé à construire, et ça c’est ma responsabilité. Après c’est de l’organisation, moi j’ai des envie et je propose, mais je laisse la part créative à tout le monde. Par exemple, avec le créateur lumières c’est vraiment un travail d’échange.

    Il t’arrive donc de te laisser inspirer par ce que le comédien amène sur scène, s’il propose une interprétation que tu n’avais pas nécessairement prévue dans la mise en scène?

    C’est une bonne question…En fait il y a trois choses : il y a l’oeuvre, donc le texte, puis il y a mon interprétation de l’histoire, des personnages, ce que j’ai envie d’en faire avec la scénographie, et après j’ai une part d’ombre. La part d’ombre c’est ce que je ne connais pas, c’est ce que les comédiens vont me donner, comment ils vont me dire le texte. Parce que moi je l’entends d’une certaine manière et puis comme tu le dis, eux ils le sortent d’une autre manière. Je vais donc moduler ce que j’ai préparé avec ce qu’ils vont me donner, de là va naître le personnage final. On ne peut pas tout prévoir en théâtre, c’est un travail d’échange.

    Tu as une carrière riche en tant que comédien et metteur en scène, ainsi que des projets de co-écriture, quelle a été l’expérience qui t’a le plus marqué ?

    Il y en a quand même quelques unes qui m’ont marqué plus que d’autres, parce c’était à des époques particulières. C’est difficile… Le repas des fauves, c’est un truc qu’on avait créé aux Galeries, avec des gens que j’ai pu choisir, c’était du velours parce que je savais ce que je voulais, je savais exactement ce que ça pouvait donner. Je me suis éclaté dans tout, que ce soit dans la musique, dans la direction, dans ce qu’ils m’ont amené eux, et ça m’a touché. Par ce que le théâtre parfois c’est de l’industrie, on fait de la comédie et puis tout d’un coup on entend un texte autrement, on voit un acteur autrement, on voit comment il a évolué et qu’il a mûrit par rapport aux autres années. Puis il y a eu le Villers avec Amadeus, je suis assez fier d’avoir pu porter le spectacle des trente ans à Villers. Surtout avec un texte comme celui-là. Ça avait du sens parce que c’était avec Denis Carpentier, on avait aussi commencé avec le café théâtre, et là il avait le rôle-titre, et j’étais au commandes. Ça  c’est vraiment bien passé. Donc voilà j’ai plutôt de la chance. L’important c’est de ne pas plafonner mais de s’ouvrir à d’autres choses et de pas me cantonner à des comédies « pouèt pouèt », mais pouvoir réentendre du texte. Après c’est une question de timing, de temps, d’envie. Là je ne sais pas très bien pour la suite parce que pour le moment, j’ai de la chance, on me donne des trucs, mais j’aurais peut-être envie de réaliser au cinéma. Si je devais avoir une ambition, un rêve, c’est de faire ça.

    Quand tu es sur scène est-ce que tu as l’impression de ressentir ce que ton personnage vit ou est-ce que tu prends une distance ?

    Oui je le vis, parce que je pars du principe que ça vient de l’intérieur. L’année passée on faisait un spectacle rigolo sur le cancer, ça rigolait au début et puis ça ne rigole plus du tout.

    C’est toujours intéressant de jouer ça, d’avoir les deux facettes, et là j’y arrivais parce que la comédienne que j’avais en face m’avait ému, et j’était ému de ce que mon personnage aussi vivait. Donc oui quand j’y arrive c’est plutôt gai, mais après c’est différent si on l’a tous les soirs. J’ai fait un autre spectacle où je jouais un type qui déclinait, c’était intéressant de pouvoir jouer un mec qui est à côté de la plaque et qui va mourir, il fallait vivre les émotions, vivre ce qu’il vit, être dans le propos. Puis de toute façon il y a une distance de l’intérieur je me dis que je sais où je suis, je suis au théâtre, mais c’est fatigant. Là dans cette pièce de théâtre j’en avais marre de jouer ce dépressif qui boit tout le temps de l’alcool, et à la longue c’était pas très joyeux à jouer. Donc oui, je ressens, mais en me mettant de côté à un moment donné pour ne pas me faire envahir. C’est déjà assez envahissant comme métier. Mais c’est gai aussi de pouvoir être acteur et de pouvoir vivre pleinement les choses.

    Donata Vilardi
    Donata Vilardi
    Journaliste du Suricate Magazine

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