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    Alan Turing, rencontre avec les auteurs de sa biographie

    Dans le cadre du festival de la bande dessinée qui s’est tenu dans le magnifique bâtiment de la gare maritime sur le site de Tour & Taxis à Bruxelles, nous avons eu l’opportunité de poser de nombreuses questions à Aleksi Cavaillez et François Rivière, le dessinateur et un des deux scénaristes de la biographie consacrée à Alan Turing, parue aux éditions Casterman en mai dernier.

    Le choix d’Alan Turing

    Alan Turing est un livre de commande de l’éditeur, qui a réuni deux scénaristes, Maxence Collin et François Rivière ainsi qu’un dessinateur, Aleksi Cavaillez afin de travailler sur ce projet. Bien entendu, même si c’est une commande, les deux auteurs présents nous confirment qu’ils ont tous les deux ressenti une forte affinité avec le personnage et surtout le désir d’élargir le champs et de ne pas uniquement parler des événements entourant le décryptage de la machine Enigma durant la seconde guerre mondiale.

    Le scénario

    Un des grands intérêts de cette biographie est en effet d’évoquer non seulement les événements les plus connus de sa vie, les plus romanesques, ceux qui ont déjà fait l’objet de plusieurs films – Enigma avec Kate Winslet en 2001 et The Imitation Game en 2015 avec Benedict Cumberbatch – mais également sa jeunesse et sa fin tragique. Une jeunesse assez méconnue à travers laquelle on découvre un personnage introverti, une période de sa vie durant laquelle il vit déjà un grand drame lorsque Chris, son ami auquel il était très attaché – et dont les auteurs présenteront une version fantasmée d’Alan dans ses rêves – décède.

    Contrairement au cinéma qui se concentre en général sur un épisode, un moment bien précis de l’existence d’un personnage pour le décrire et extrapoler à partir de cet angle toute son existence, les auteurs ont fait le pari d’évoquer le grand scientifique dans sa globalité, en espérant toucher un large public mais également un public de niche, à travers notamment son travail scientifique, qui est encore largement méconnu – et notamment son travail qui a lancé les bases de l’informatique moderne mais également ses réflexions sur l’intelligence artificielle.

    Un scénario qui se veut le plus exhaustif possible, même si, comme nous le dit François Rivière, on choisit toujours un angle bien précis quand on écrit une biographie, une subjectivité qui dans le cas présent se dédouble de par la présence de deux scénaristes sur le projet.

    Des difficultés de dessiner un tel récit

    A la question de savoir ce qui a été le plus compliqué à dessiner, entre la partie onirique ou la partie scientifique, Aleksi Cavaillez répond que c’est bien cette deuxième qui a été la plus complexe à mettre en œuvre. Et selon François Rivière, lorsque l’on connait le travail d’Alan Turing, on doit saluer le travail immense du dessinateur pour avoir rendu compréhensible à tout un chacun les travaux du mathématicien. Un exercice de vulgarisation qui passe par un recours à des formes géométriques pour représenter les différentes étapes du processus de décryptage, un passage par des formes très basiques selon Aleksi, comme les premières étapes d’un film d’animation

    Un travail de préparation en amont

    A la question de savoir que représente le travail de préparation dans un projet comme celui-ci, François Rivière nous parle de la biographie officielle d’Alan Turing, mais aussi des nombreux témoignages laissés ainsi que toute la documentation concernant les domaines dans lesquels il est intervenu. Au niveau du dessin, il y a bien entendu toute la documentation graphique – et notamment toute la photographie anglaise de l’époque – qui sert à capter l’atmosphère de l’Angleterre au cours des quatre décennies évoquées  des années 20 aux années 50. Et là encore, François Rivière rend hommage à son collègue Aleksi Cavaillez qui a parfaitement su rendre compte de l’atmosphère dans laquelle vivait Alan Turing.

    Le choix ou non de la couleur

    Être en accord avec l’époque, c’est aussi se poser la question du choix de la couleur dans cette biographie. De manière univoque, les deux auteurs ont affirmé qu’il n’en avait jamais été question. Car si l’on se retourne cinquante ou cent ans en arrière, on réalise que l’Angleterre du 19ème et encore récemment tout au long du 20ème siècle est une terre de charbon… tout était marqué par celui-ci, que l’on s’imagine le ciel bleu caché par le smog jusqu’à la suie qui devait recouvrir chaque bâtiment… un album qui respecte la réalité historique ne pouvait dès lors pas être rempli de couleurs chatoyantes.

    Un personnage complexe

    Utiliser le noir et blanc était également une manière d’être en accord avec la complexité du personnage, un homme qui vivait principalement à l’intérieur – chez lui ou à Bletchley Park, lieu qui rassemblait ceux qui ont déchiffré le code de la machine Enigma – mais également à l’intérieur de lui-même, un homme assez réservé se concentrant sur la résolution de problèmes mathématiques complexes.

    Une complexité que l’on retrouve chez beaucoup de scientifiques et d’artistes, notamment Salvador Dali qui faisait vivre un univers complexe dans sa tête tout en étant l’opposé d’Alan Turing au niveau des relations sociales, jouant son rôle de personnage assez extravagant et même exhibitionniste qui façonnait la manière dont les gens le voyait.

    Scientifique et artiste

    Une complexité psychologique qui n’est d’ailleurs pas le seul point commun entre le monde artistique et le monde scientifique selon les auteurs.

    Alan Turing vit par et pour son travail selon Aleksi Cavaillez et par conséquent, ressent également cette angoisse, cette peur de la fin de l’inspiration. Les deux auteurs nous parle de créativité et d’inspiration, de la nécessité de sauter dans le vide car ce qu’ils proposent est radicalement différent, une vision nouvelle qui demande une intuition initiale.

    Une fin tragique et une trop longue période d’oubli

    Ce qui frappe dans le destin d’Alan Turing, c’est évidemment sa mort à un âge relativement jeune – quels domaines aurait-il pu encore aborder, qu’aurait-il pu encore produire se demande François Rivière – ce coup porté par la justice en raison de son homosexualité qui l’a totalement détruit. Une incompréhension au vu de nos standards européens actuels, et également un contraste gigantesque entre sa contribution immense à l’effort de guerre et à la science en général et le sort qui lui a été réservé, même au-delà de la mort – une longue période d’oubli qui semble se terminer à présent.

    Vincent Penninckx
    Vincent Penninckx
    Responsable BD

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