Titre : Ainsi l’animal et nous
Autrice : Kaoutar Harchi
Éditions : Actes Sud
Date de parution : 4 septembre 2024
Genre : Essai
Les animaux sont à notre merci. On les sous-considère, on les abat à la chaîne, on les torture. Et l’Europe n’a pas son moindre rôle à jouer dans ce massacre, surtout depuis 1492, et la colonisation des terres, des êtres, hommes et femmes, animaux aussi. Parce que les femmes elles-mêmes ont souffert autant que les animaux, d’après Kaoutar Harchi, souffert de la domination des hommes blancs et riches, qui ont voulu soumettre tout ce qui n’était pas eux, humains et non-humains.
Kaoutar Harchi est une chercheuse en sociologie et d’une certaine manière, cela se ressent. Le livre est une mine de références bibliographiques. Elle ne s’appuie pas sur rien ou n’importe qui pour démontrer sa thèse ou ses thèses, dans ce livre découpé en plusieurs dizaines de chapitres courts. Les informations sont étayées, très intéressantes en ce qui concerne le début des suffragettes en Angleterre, par exemple, ou la naissance du végétarisme sous l’influence de Mary Shelley, notamment.
Kaoutar Harchi est aussi militante et si être militante n’est pas un gros mot, ici, ça devient plus compliqué à la suivre, autant sur la forme que sur le fond. D’abord, ce sont des suites innombrables de nom, d’espèces d’animaux cités, tous d’une manière ou d’une autre disparus, sur le point de disparaître ou tout du moins souffres-douleur de l’espèce humaine. La démarche est louable, nommer, c’est déjà agir, mais ici, il ne s’agit pas simplement de nommer, mais de répéter, répéter et répéter encore. C’est sa démarche, parce qu’elle sait, et elle tient à le faire savoir, en écrivant aussi constamment au milieu de ses phrases des « vous savez » épuisants, didactiques et hautains, comme une prophétesse qui de sa hauteur daignerait délivrer son savoir à la populace. Elle tient aussi à utiliser l’écriture inclusive, fantastique idée. Mais utiliser systématiquement « les hommes, les femmes » au lieu de chercher un mot épicène pour alléger le propos, cela, elle n’y tient pas. La démarche est louable, encore une fois, mais la lecture difficile et exaspérante car redondante à souhait
D’une manière générale, écrire plus de 300 pages sur ce massacre quotidien qui passe inaperçu d’espèces entières, sur la violence envers les femmes, les personnes racisées, les musulman.e.s, est à applaudir. Pourtant, là encore, la démarche militante revient à l’assaut et prend le dessus, de manière manichéenne : le seul responsable, c’est l’homme blanc riche européen. Depuis 1492, et « la découverte de l’Amérique » par Colomb, l’homme blanc européen est responsable de tous les maux sur terre. Le massacre de tous les animaux, la violence envers les femmes, les personnes racisées, l’homme blanc est responsable. Jamais, jamais un mot ne sera dit sur la condition de vie des animaux hors du pouvoir des blancs, même avant 1492, ce paradis perdu. C’est d’un ridicule presque risible, d’être aussi aveuglée et énervée par l’homme blanc européen riche (on pourrait peut-être ajouter cisgenre hétéro etc. même si ce n’est pas le propos ici) que pour nier le fait que la violence des femmes, des animaux, des personnes racisées, est global et généralisée, indépendamment de la couleur de peau ou de l’origine. Évidemment, 1492 a changé le monde. Mais essayer de faire croire que le monde était beau et merveilleux et que les êtres humains vivaient en harmonie avec les animaux avant que les méchants européens blancs ne foutent le bordel partout, ce qu’ils ont fait, c’est une pilule dure à avaler.
Ainsi l’animal et nous rate donc ses effets, par surplus d’informations, de répétitions, de militantisme abscons et superflu. Harchi semble être obsédée par cette cible à abattre et ne propose rien comme changements structurels pour changer la condition des êtres vivants sur terre. Elle n’est qu’aveuglée par sa propre histoire, conditionnée par cette mini aventure autobiographique qu’elle raconte entre les lignes, liée à une morsure de chien d’un policier et la disparition d’un ami, avec de nouveau de multiples répétitions à rendre son anecdote ennuyante à mourir. La partie sur le nazisme est également très longue (presque 50 pages), d’autant plus qu’on y apprend pas grand-chose. C’est un livre qui radote et qui aurait gagné à être moitié moins long, sans toutes ces boursouflures, ou alors d’une longueur similaire mais augmenté d’un regard moins européo-centré (un comble pour l’autrice qui semble vouer une certaine haine contre l’Europe blanche) et surtout avec une proposition d’avenir commun plutôt qu’un long larmoiement de 300 pages portant haut et fort la posture de victime.
En attendant, inlassablement, l’être humain continue sa lente conquête de la Terre entière, annihilant tout animal sauvage qui n’est pas lui, les transformant en animal de compagnie, en objets de curiosité dans les zoos ou en personnages anthropomorphisés dans les dessins animés et les bandes dessinées enfantines.