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    « Aftersun », psychanalyse de mes vacances

    Aftersun
    de Charlotte Wells
    Drame
    Avec Paul Mescal, Frankie Corio, Celia Rowlson-Hall
    Sorti le 1er février 2023

    Plongée dans ses souvenirs d’enfance, Sophie se souvient de son père lors de vacances passées en Turquie. Partagée entre l’amour paternel, les souvenirs épars de l’oisiveté estivale et le long départ vers la vie adulte, celle-ci convoque sa mémoire à travers les vidéos sur cassettes enregistrées durant cette période. Interrogeant la relation d’une fille et de son père, Aftersun brouille habilement les limites entre la vie d’adulte et l’enfance, entre la responsabilité de l’une et l’insouciance de l’autre. En offrant un visuel d’une grande beauté formelle et d’un style très (trop peut-être) Sundance festival, Aftersun coche toutes les cases du film indépendant à succès sans jamais trahir la douceur et la finesse que Charlotte Wells instille dans son image.

    Éducation et co-construction

    Aftersun part d’un postulat simple qui, sans être nouveau au cinéma, garde une certaine fraicheur : rien ne sépare un adulte d’un enfant si ce n’est le temps qui a passé. Sans être excessivement réflexif sur la question, le film traite le sujet à bras le corps et joue de la jeunesse de Paul Mescal et de sa proximité avec Frankie Corio dans une illustration touchante. Ainsi, le film nous enseigne-t-il que la parentalité regorge de zones troubles où l’apprentissage se fait dans les deux directions et où l’horizontalité prend le pas sur le schéma vertical classique. Le contact de l’un avec l’autre enrichit le tandem d’acteurs pour le meilleur et pour le pire et les insécurités du père trouvent un écho dans la vie d’adulte de Sophie autant que les doutes de celle-ci s’immiscent chez le père. Cette réciprocité qui est le lot de l’enfant qui passe à l’âge adulte, comprenant enfin les difficultés éprouvées par ses parents, le film l’illustre avec succès de manière immédiate et émouvante.

    Un cinéma des (du) sens

    Une des forces d’Aftersun est sa capacité à convoquer des sensations éprouvées par le spectateur à travers l’écran. À cet égard, le film n’est que très peu discursif et centre son champ d’action sur le sensoriel. En définitive, la question posée n’est pas tant « qu’est-ce que c’est d’être un enfant ou un parent » mais plutôt « qu’est-ce que ça fait ». Car les souvenirs d’enfance échappent pour la plupart à la réflexion et se situent quelque part dans cette zone interlope de nos souvenirs qui a trait aux sensations. Le cinéma de Wells va ainsi au-delà de la perception pour fouiller dans le souvenir sensoriel mais ne laisse pas celle-ci en reste pour autant. La couleur est par exemple utilisée à plusieurs égards comme un signifiant dans Aftersun. Le jaune en est sûrement l’occurrence la plus marquante et se voit utilisé comme la couleur de l’âge adulte. Ainsi l’illustre le bracelet all inclusive qui permet d’accéder à ce que les adultes ont (ce qui s’achète avec l’argent, lui aussi jaune), le short jaune des adolescents qu’elle regarde depuis son jeune âge ou encore la bière que son père boit avec peu de modération. Si le jaune représente l’âge adulte, il est surtout le marqueur de la fin de l’innocence et le film dans l’absolu aborde cette question plus que toutes les autres ; qu’y a-t-il après le soleil (jaune aussi) des vacances et de l’enfance ?

    Vidéos souvenirs

    Un des attraits du film vendu par les distributeurs est l’utilisation de plans tirés de VHS filmés par les acteurs eux-mêmes. Occupant une place sommes toutes marginale dans le film, ce geste de cinéma n’en est pas pour autant négligeable. Sans rentrer dans l’analyse profonde de ce que signifie pour un acteur d’être à son tour derrière la caméra (et cette fois-ci pour de vrai dans le sens où ce sont leurs images que l’on voit), l’utilisation des plans filmés au caméscope offre un beau relief dans le film qui dynamise l’œil du spectateur dans un film qui aurait pu être trop plat. L’usage de ces plans, outre ce que l’on a évoqué juste ici, donne un sens touchant au film que l’on comprend lorsque l’on met en perspective les nombreuses scènes filmées sous une lumière stroboscopique où Sophie voit son père danser. Ne voyant que son père par bribes, par morceaux d’images dans ses souvenirs (d’où le stroboscope), les vidéos de son caméscope viennent redonner de la chair à son père qui est enfin « continu » dans son être. Car si la photographie est le médium qui renvoie perpétuellement à la mort selon Roland Barthes, le cinéma est celui qui fait soupçonner que la vie qui a été filmée a vraiment existé. Sans être déterminant pour le film, cet aspect vient raviver un intérêt qui, lors du visionnage, peut sembler peu évident pour le spectateur.

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