La Belgian Gallery, âgée d’un an à peine, accueille Johan Muyle, un artiste belge pluridisciplinaire, pour une exposition monographique. Après une apparition remarquée au MACS à Mons et au BPS22 à Charleroi, c’est dans une salle plus intimiste que ses sculptures poétiques entrent en scène. Son œil cinéphile influe la conception de ses œuvres, tout autant que ses voyages et ses aspirations humanistes.
Des sculptures hommages
Le sculpteur Constantin Meunier, un Nu académique ou une divinité indienne inspirent Johan Muyle pour constituer des figurines composites. Bavardes, mais pas prolixes, ces sculptures se découpent en plusieurs éléments narratifs que le spectateur est amené à occulter pour associer les détails entre eux. C’est donc avec une certaine minutie que les yeux creusent les interstices de ces éléments visuels. Les bouches cousues – nous invitant paradoxalement au silence – évoquent des vœux spirituels comme il en existe dans les rituels Sâdhu. Ces lèvres brodées rappellent également la radicalité politique de l’artiste russe Piotr Pavlenski dans sa performance. Les interprétations de cette symbolique sont multiples.
Les assemblages oniriques amènent différents cheminements de réflexions. L’idée insolite du masque ventral africain dans La Restitution laisse à penser que cette étude académique couve un secret pesant. La charge pondérale de l’oligarchie s’exprime très bien à travers la matière bronze, sombre, terrienne et aussi hermétique que les visages sans pupilles qui s’y dessinent. La prothèse faciale entraine la figure androgyne vers le bas, le regard tourné vers la caisse de transport, réceptacle d’un passé douloureux où les non-dits persistent. Le bateau, l’atlas et la boîte de caviar prennent dans chacune des trois pièces l’allure de pierre de Sisyphe, marquant un rythme continu, sans fin ni début.
Des sculptures humanistes
L’actualité nourrit par ailleurs la démarche de l’artiste. Ainsi, au cours de la visite, des thématiques telles que la colonisation, la problématique de la restitution des œuvres ou encore la tragédie ukrainienne s’intègrent aux sculptures. L’imaginaire collectif que l’iconographie invoque rend les intentions politiques lisibles. Dénoncer ne semble cependant pas être au cœur de la démarche de Johan Muyle. Il s’agit plutôt ramener l’émotion dans le débat politique et d’en souligner l’irrégularité. Tout comme dans l’Arpenteur, dont le système mécanique rappelle la tendance du selfie, le jugement radical n’existe pas. L’artiste n’hésite pas à créer un autoportrait qui ressemble à la fois à une carte ésotérique et à une danse macabre. Par-là, il souligne que chacun a une part de narcissisme qui peut s’exprimer dans un élan créatif égotique. Cette accessibilité des œuvres – qui n’en demeurent pas moins complexes – leur permet d’être intégrées au-delà des cénacles du marché de l’art.
Des sculptures mantras
Des rotations infinies structurent le fond sonore. Ces mesures conjurent les notions d’espace-temps et régulent l’anarchie matérielle que l’on peut déceler dans les pièces. Reviens Va-t’en, chanson d’Alain Baschung qui fait briller le dos de La Restitution, suit la même cadence d’avant en arrière que le vaporetto de bois. Erik Satti, admirable et mystique, participe à une mise en scène incongrue où lumière LED et panneau lumineux se rencontrent dans A Bocca Chiusa. Répétée 833 fois, la mélodie romantique maintient la dynamique spectateur-œuvre en éveil constant. Pris de convulsion musicale, le sujet répond au musicien et le bronze narre un autre récit que celui que les symboliques sans équivoques laissent entrevoir.
Un système anaphorique proliférant permet une association d’idées cabalistiques. Des interrogations métaphysiques sont injectées dans ces compositions, non sans second degré. Dans les pièces, les matériaux se répondent et s’incarnent dans l’espace à la manière de mobiles poétiques. Des assemblages subtils convoquent différentes formes de sensibilité. Oligarchie, emprunt artistique et allégorie des mœurs sont ainsi questionnés sans poser les contours d’un discours politique bien défini. Les sculptures activent le mécanisme du rêve et posent un regard lyrique et aérien sur des problématiques contemporaines.
Infos pratiques
- Où ? Belgian Gallery, Rue de Florence 39, 1050 Ixelles.
- Quand ? Du 22 avril au 28 mai 2022.
- Combien ? Entrée libre.