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    Osons la mixité dans l’entreprise de Patrick Banon

    auteur : Patrik Banon
    éditions : Prisma
    sortie : janvier 2015
    genre : Entreprise, psychologie

    OSS117 : Je suis ravi d’avoir une secrétaire aussi jolie !
    Dolorès : Pardon ?
    OSS117 : Je dis que je suis ravi d’avoir une secrétaire aussi jolie.
    Dolorès :  Je ne suis pas votre secrétaire !
    OSS117 : Ben, vous êtes la secrétaire de qui alors ?
    Dolorès : De personne. Je suis lieutenant-colonel de l’armée israélienne et l’idée est que nous travaillions ensemble. D’égal à égal.
    OSS117 : On en reparlera quand il faudra porter quelque-chose de lourd !

    Qui n’a pas ri des répliques du monument d’auto-suffisance qu’est Hubert Bonisseur de La Bath ? Par leur anachronisme, ces réflexions le font passer, lui, pour un misogyne obsolète et le sexisme pour une aberration. Pourtant, la mixité sociale et professionnelle n’est pas encore une réalité, et pire, il se murmure parfois le mot régression.

    Osons la mixité aurait pu avoir pour sous-titre La société au féminin/masculin tant son propos dépasse le cadre strict de l’entreprise. En relatant l’histoire de la vie professionnelle des femmes, Patrick Banon retrace l’évolution de la condition féminine, depuis les mythes fondateurs, religieux ou philosophiques, marqués du sceau du patriarcat aux lois progressistes du XXème siècle, premiers outils officiels de l’émancipation féminine. Mêlant passé et présent, notamment par la citation de visionnaires – Nicolas de Condorcet, Stendhal, Hugo, de Vigny, Olympe de Gouge, etc. – et les chiffres de rapports et d’études officiels, l’auteur dresse le portrait de la mixité professionnelle en France. Sans sombrer dans le militantisme vindicatif, le constat est sans ambivalence : il y a encore du pain sur la planche.

    À la vitesse où vont les choses, il faudra attendre encore un siècle pour pouvoir parler de réelle égalité professionnelle entre les sexes. Non seulement il reste d’importantes disparités salariales, mais en plus la répartition des genres par secteurs est encore très inégale : seuls 12% des métiers sont mixtes. Certaines professions comme celles ayant trait à la petite enfance, aux soins ou à la formation restent l’apanage des femmes tandis que ceux de la technologie, des sciences ou encore de la construction sont placés sous monopole masculin. Et si le classement Forbes des femmes les plus puissantes du monde est encourageant, il n’en est pas moins l’arbre qui cache une forêt de discriminations invisibles et plus pernicieuses que la disparité évidente. En effet, sous l’égalité de façade de nos sociétés occidentales persiste une réalité inégalitaire : la majorité des diplômées le sont dans des secteurs peu porteurs, les écarts de salaires connaissent un différentiel de 24%, les femmes ont 80% des emplois à temps partiel et elles sont sous-représentées dans les fonctions de direction et les postes à responsabilité. La mixité dans les TPE et les PME reste le plus souvent théorique et si de grandes entreprises (Coca-Cola France, Michelin, L’Oréal, Sodexo, etc.) peuvent se targuer d’être progressistes, ce n’est pas là une loi générale. Ainsi, l’article paru fin janvier dans le Newsweek et repris dans le Courrier International à propos de la misogynie dans la Silicon Valley confirme que la modernité des technologies n’est en rien garante de celle des mentalités.

    En évoquant les causes modernes de ce déséquilibre au sein de la sphère professionnelle, l’auteur présente la mixité comme le projet d’une société plus égalitaire, un nouveau territoire d’action commune pour les hommes et les femmes. Car la reconnaissance de la femme est indéniablement un marqueur d’évolution et de développement. « Par la précarité de leur situation, les femmes sont à la fois les premières sentinelles et les premières victimes de la fragilité des démocraties » (p.21). Il n’y a qu’à voir comme la place de la femme est un progrès rapidement balayé en période de troubles (révolution française, nazisme, Etat islamique, etc.). Il rappelle également que le projet éthique de mixité est l’affaire de toutes et de tous et qu’il s’agit d’une entreprise de longue haleine, des siècles d’inégalités et de schémas de pensée autocentrés ne pouvant être modifiés en quelques décennies.

    Grâce à un contenu bien synthétisé, l’ouvrage se lit aisément. De plus, l’auteur évite l’écueil typique de la survalorisation du féminin qui, en menant à sa ségrégation, avorte toute possibilité de réunion des genres dans un espace partagé. « Ce qui compte est naturellement la formation, le parcours et la diversité des expériences de chacunes et de chacun, et non une prédestination sexuée du caractère, des talents et des faiblesses. » (p.118). Il n’hésite pas non plus à pointer du doigt l’humour sexiste de la publicité ou les bad buzz qui offrent une tribune à des remarques à la pertinence douteuse, et rappelle ainsi que le sexisme doit être marginalisé au même titre que le racisme. L’auteur propose des pistes générales pour plus d’égalité, de la féminisation des noms de métiers aux stratégies d’entreprise pour développer la mixité, en passant par la reconnaissance de modèles féminins dans divers domaines (sportif, scientifique, culturel, etc.)[1]. Selon Banon, il s’agit de changer nos conceptions du monde et d’envisager les deux sexes non pas comme complémentaires, ce qui les cantonnerait à des champs d’actions limités et prédéfinis, mais comme interdépendants.

    En 1946, Sartre a dit que « l’existence précède l’essence »[2]. Dans les faits la seconde continue d’avoir une bonne longueur d’avance, mais ce n’est pas une fatalité : de nouveaux modèles d’entreprise et ultimement de société sont possibles.

    [1] À titre d’exemple, le Panthéon des grands hommes en France ne contient toujours que deux femmes: Sophie Berthelot et Marie Curie. Le transfert des cendres de deux autres femmes est annoncé pour mai 2015. Concernant l’Académie française, seules sept femmes y ont siégé depuis 1980, la première étant Marguerite Yourcenar, élue à un vote de différence après trois siècles d’exclusivité masculine.
    [2]  « L’existentialisme est un humanisme ».

     

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