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    Manu Bonmariage nous parle de « Vivre sa mort »

    Voir la mort en face, l’assumer et la défendre comme on le ferait avec sa vie… Deux portraits tracés de la manière la plus intime qu’il soit. Peut-être à la suite de cet entretien en saurons-nous un peu plus sur le point de vue de Manu Bonmariage aussi vif et présent dans la vie qu’il est discret et s’oublie derrière sa caméra.

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    « Allez c’est moi qui la commence cette interview ! As-tu identifié la musique du générique ? »

    Devant mon regard à mi-chemin entre hagard et vitreux, il enchaîne :

    La musique du début et de fin du film est une chanson que me chantait ma mère, une chanson wallone « Lèyîz m’ plorer »  : laissez moi pleurer. C’est du wallon de liège, le plus beau des wallons (rires). Cet air là me trotte dans la tête depuis toujours et je n’aurai jamais pensé l’utiliser de cette façon. C’est mon fils Mathieu qui l’a adapté, j’ai trouvé un bombardon dans une fanfare pour le jouer et mon fils l’accompagne avec un melodica.

    Comment l’idée de faire ce film – « Vivre sa mort »-  s’est elle imposée à vous ?

    En sortant du cinéma Plaza à Hotton, cinéma de campagne où j’ai d’ailleurs rencontré ma première fiancée à 14ans. Je venais d’y présenter mon dernier film : « La terre amoureuse », je suis interpellé soudainement par quelqu’un que je reconnais immédiatement, un neveu : « Manu, j’aimerais que tu me fasses un film comme ça. J’ai un cancer, il n’y a plus aucun espoir, et j’aimerais que tu me suives sur la fin de ma vie. »

    C’était la première fois évidemment que l’on me proposait quelque chose aussi frontalement et presque joyeusement sur un sujet si « grave ». Il voulait vivre sa mort de façon allègre. Je n’avais encore jamais abordé la mort dans le cadre de ce que j’appelle le cinéma direct.

    Suite à cela, je me suis dit que je voulais faire un second portrait en parallélisme avec l’histoire de Philippe. J’ai contacté mon ami Gabriel Ringlet, un curé libre penseur, philosophe de la science. Il est pour l’euthanasie, qui pour lui est une façon intelligente et participative de vivre sa mort, une communion. C’est drôle, j’ai un langage d’ancien croyant, je suis devenu athée grâce à dieu ! (rires) Je dis ça c’est provocateur. Dans le christianisme c’est Jésus qui m’interpelle, c’est un type formidable, lui m’intéresse, pas dieu.

    J’ai donc téléphoné à Ringlet pour lui demander s’il accompagnait vers la mort quelqu’un en ce moment, il me parle alors de Manu. Ce dernier ainsi que sa famille furent partant pour cette aventure.

    Combien de temps les avez-vous suivis ?

    Le temps qu’il fallait, environ huit mois. Je me suis mis à leur disposition, je voulais qu’ils puissent « être », et pour ça je voulais être seul, n’avoir aucune équipe avec moi.

    Être discret et disponible en permanence, ça mène à la complicité. Ma présence est un poids mais elle devient une source de chaleur, c’est très réconfortant par rapport à la création de ce film.

     Comment avez vous géré votre implication sentimentale dans ce film ?

     Ça me touche énormément, je suis un émotif actif primaire, chaque fois que je fais un film je suis touché mais particulièrement celui là.

    Je ne travaille pas dans l’objectivité mais dans le plaisir d’être ensemble, de partager quelque chose de fort et divin.

    La caméra est contemplative mais je ne le suis pas, vivre avec eux, être en communion, c’est cette place que je prends, c’est eux qui prennent pouvoir sur moi d’une certaine manière, ce principe est fondamental pour moi dans le documentaire.

    J’ai déjà vu ce film des centaines de fois, je n’en suis jamais sorti sans pleurer, ce qui ne me dérange pas. J’ai la larme à l’œil aussi facilement qu’un sourire.

    Je l’ai vécu de façon pleine et intense, il ne faut pas avoir peur de l’émotion.

    C’est la force des personnages du réel, il n’y a pas de transition, c’est la source de vie du cinéma direct.

    Quelles sont les pensées qui vous on traversé en réalisant ce film ? Qu’est ce qui vous a le plus marqué ?

    Déjà, il y a une étape importante au delà de l’expérience de l’immersion, c’est le montage.

    Le montage est palpitant, c’est un suspense. De voir cette vie qui renaît à l’image, comme si toutes mes prises de vues germaient entre le moment où elles se déroulent et le montage. Ce sentiment de création est vibrant, ça te travaille les tripes.

    Et enfin pour ce qui est du vif du sujet… L’euthanasie pour Manu est une source de réconfort, et avoir pu être là dans mon coin, face à cette famille réunit, sa femme, ses huit enfants tous en chœur… Cette euthanasie est d’une beauté incroyable. Qu’on vienne me dire que dieu n’aurait pas voulu ça j’ai du mal a y croire.

    Pour Philippe malheureusement, suivi par un oncologue réfractaire, en tout cas plus méfiant, il n’a pas eu la chance d’aller vraiment au bout du dialogue et donc de cette décision. La pudeur du médecin de Philippe m’a envahi. Mais je ne suis pas là pour juger. Les personnages que je suis deviennent des amis mais aussi des acteurs vivants, qui vivent leur mort. C’est triste mais riche, ils sont maîtres du jeu, même si ce jeu se dirige inévitablement vers la mort.

    Même s’il faut quand même avoir conscience que la vie continue. Il faudra reprendre après les outils de la vie, l’assumer à fond.

    Alors voilà, j’assume, je garde franchement la tête haute, je n’ai pas envie de faire le charlatant, de dire que ce film est mon œuvre, ce n’est pas mon œuvre. J’invite simplement ces gens qui se rendent acteurs de leur propre vie. Ça reste le même principe que pour les « Strip-Tease », je suis un ardent défenseur de cette vérité qui n’est peut être pas cette vérité splendide, qui est simplement celle de chacun qui essaye de tenir le parcours de sa vie d’une façon simple et effacée, qui par moment est tumultueuse et délirante. On doit passer par tous ces états, ces « faits d’être ».

    Comment appréhendez vous la première du film ce samedi au Bozar ?

    Le titre est un peu provocateur. Je peux comprendre que ce sujet fasse peur.

    Mais j’ai hâte d’être le 28, de sentir cette salle unie, de voir les familles qui seront présentes… Ce sera une ambiance chaleureuse, j’en suis sûr.

    Ce que j aime n’est pas toujours facile mais je préfère ça à un semblant de fiction. Pour certains, ce sera peut-être trop. Je n’estime pas avoir le droit de mettre des gens dans un état de fragilité, même si ça peut être ressenti comme ça. En même temps, la fragilité ce n’est pas grave, c’est de la sensibilité.

    Je remercie Philippe d’être venu me chercher à la sortie de ce cinéma, c’était une expérience merveilleuse, un cadeau.

    Propos recueillis par Cécile Marx

    Groucho Marx
    Groucho Marx
    Journaliste du Suricate Magazine

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