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    Trahisons au KVS

    De Harold Pinter, de et avec tg STAN

    Du 19 au 21 février 2015 à 20h30 au KVS

    Trahisons raconte les relations qui unissent trois personnages : Emma a eu pendant sept ans une liaison avec Jerry, le meilleur ami de son mari, Robert. La pièce commence par la fin : l’adultère d’Emma et Jerry a pris fin depuis deux ans, et Emma envisage de se séparer de Robert. On remonte ensuite dans le temps pour explorer la généalogie de cette histoire, jusqu’au premier baiser entre Emma et Jerry. En sept scènes, Trahisons nous donne à voir les moments d’amour et d’amitié, de mensonges et faux-semblants, qui se fondent dans le récit du temps qui passe, du quotidien, des infimes péripéties familiales qui jalonnent la vie de ces intellectuels trentenaires.

    Comme dans d’autres pièces de Pinter, la peinture de la banalité est imprégnée d’ambiguïté et de confusion. On ne sait jamais véritablement qui ment, qui en sait plus que ce qu’il dit, qui trompe et qui est trompé. En apparence, tout fonctionne plutôt bien, et l’adultère semble être vécu sans drame, compatible avec la vie familiale que Jerry et Emma poursuivent sans trop d’accrocs. Pas de tragédie, non plus, lorsque Robert apprend qu’il est trompé : Jerry sera le plus bouleversé, en apprenant que son meilleur ami est au courant depuis des années, et que son ancienne maîtresse le lui avait caché. Ce qui l’ébranle, c’est peut-être aussi la tranquillité qui baigne le dévoilement de la haute trahison, si loin de la passion qui l’animait et dont témoignera, à la fin de la pièce, sa première déclaration d’amour à Emma.

    Si la trahison est entourée d’un sentiment d’impuissance, de blessures et de regrets, c’est le langage qui nous les révèle. Il est le signe de ce qui se refuse à tourner rond, des mécanismes grippés, de l’impénétrable étrangeté de l’autre. Tout au long de la pièce, les conversations banales, les bavardages et les échanges d’impressions entre ces trois personnages qui s’aiment paraissent cernés par les malentendus, l’absurde, le vide. Qu’ils évoquent les enfants, les nouveaux auteurs, les souvenirs, la prochaine partie de squash, ils s’en tiennent à la répétition inlassable des mêmes anecdotes, des mêmes formules, des mêmes projets. Tout se brouille et se mélange, comme si chacun essayait de construire le fil de son propre récit, toujours guetté par les ombre des autres, des choses qui ont eu lieu et des choses qui ont été dites : dans cette histoire qui cherche sa source, il semble bien difficile de remonter jusqu’à sa propre voix, plus encore de la partager.

    Le style de tg STAN est bien loin de la froideur ironique, de l’intellectualisme et de l’inquiétante étrangeté que l’on retrouve dans d’autres versions des faux-vaudevilles de Pinter. Le collectif flamand connu pour son goût du texte à l’état brut et du rapport direct au public apporte à Trahisons une chaleur, une humanité et un naturel qui laissent libre cours à l’humour de la pièce, à ses jeux de langage et de sentiments mêlés. Entre Emma, Jerry et Robert, circulent les mensonges, les frustrations et les non-dits, mais aussi l’amour, la bienveillance, l’attention. On regrette cependant que la mise en scène de tg STAN, qui joue beaucoup sur le dévoilement des mécanismes fabriqués de l’illusion théâtrale, ôte parfois de la fluidité à la pièce, qui s’enlise un peu. En outre, les acteurs ne sont pas francophones, et cela s’entend parfois, donnant parfois à la pièce un rythme un peu heurté, qui ne laisse pas le texte se déployer au mieux.

    La scène finale, toutefois, est flamboyante : lors d’une fête, Jerry, dans les brumes lumineuses de l’ivresse, se lance dans une déclaration éclatante à Emma, gorgée de promesses, d’excès, de vertiges. Il y a sans doute, là encore, de l’illusion et de la duperie, mais surtout un irrésistible et renversant désir de croire : la langue de Jerry se délie sous l’alcool, et il n’a jamais été aussi vrai.

    Emilie Garcia Guillen
    Emilie Garcia Guillen
    Journaliste du Suricate Magazine

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