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    Buzz au Théâtre National

    De Cedric Coomans, Jérôme Degee, Julie Remacle, Jean-Baptiste Szézot, avec Cedric Coomans, Jérôme Degee, Jean-Baptiste Szézot

    Du 6 au 14 février 2015 à 20h30 au Théâtre National

    Le 21 février 2015 à 18h30 au Festival de Liège, dans le cadre de Factory

    Un colibri ailes déployées plane sur la scène alors qu’une ovation fait trembler le studio du Théâtre National, une adresse facebook protégée des plumes dudit oiseau comme pour signifier que le théâtre ne serait plus qu’une manière de récolter des likes. Alors, le buzz, fera, fera pas?

    Ils sont de Sophocle, ils sont de Beckett et ils en ont surtout marre du théâtre en plaid et pantoufles bien rangé et couvert d’une couche de poussière avec quelques toiles d’araignée en option. Ils ont besoin d’un nouveau souffle d’un nouveau théâtre qui parle aux gens, aux jeunes. Ne plus amener le public sur un autre terrain mais envahir le leur. Medium choisi: le buzz!

    Mais tout doit-il faire farine au moulin? Doit-on s’adapter à tout prix? Le théâtre, marche ou crève? Si la pièce prend internet à bras le corps en adoptant ses codes  c’est pour – en vaillant petit colibri – les déconstruire et mieux taper sur la vague plutôt que de surfer dessus. Bien sûr le théâtre doit se réinventer, s’adapter mais pas à tout prix ou bien intelligemment, comme le fait le collectif Ramdam.

    La video est omni-présente, caméra à la place des yeux, un des comédiens enregistre tout faisant passer sa vision sur un écran délégué et forçant le spectateur à passer de video à jeu vivant sans cesse et transformant la performance en buzz potentiel. Ce qui est fait sur scène sert à alimenter l’image: un graphique de l’histoire du buzz suivant une ligne du temps est filmé. Un comédien y illustre le texte d’un autre comédien. La parole et le geste ne sont plus au centre car c’est bien l’image qui trône sur la scène et attire le regard. C’est là où Ramdam épouse la forme.

    Mais sur le fond, ces trois barrés de l’hyper-connectivité démultiplient les réserves à l’encontre du désormais sacro-saint buzz: grand colibri dressé en symbole politique totalitaire sur la scène comme autant de croix gammées, sacrifice humain performé face caméra pour faire vibrer la toile, folie collective empreinte d’absurde, rien ne nous est épargné. Avec un jeu survolté, ils amènent le buzz sur le terrain du whah-the-fuck et tournent en ridicule la soif de célébrité et de succès immédiat.

    Si les écoles ont inscrit en masse la génération StarAc aux représentations de Buzz, pas sûr pour autant qu’ils aient les clés pour comprendre ce qui se dit entre les lignes. Car contrairement à ce qu’ils font semblant de dire, Ramdam se refuse à niveller par le bas. Et s’ils lèvent les bras, s’ils gangnam stylent, c’est pour mieux nous parler de quelque chose de plus profond qui échappera à ceux qui s’arrêtent à la forme. Et problème, les biberonnés à Nabilla s’y arrêtent trop souvent. Et ils ne sont malheureusement pas les seuls.

    Car c’est un miroir de nous-même qu’ils dressent, nous forçant à nous regarder le nombril pour mieux voir que nous sommes atteints de la maladie buzz, tous excités que nous sommes de participer au processus. Mais suite à l’euphorie, le constat est cinglant: oui, le buzz est facile et oui, il est tentant mais il est aussi vide et éphémère. Et non, satisfaire gratuitement et bassement à un plaisir immédiat, ce n’est pas du théâtre.

    Chapeau le Ram Dam pour avoir secoué la salle comme on hystérise un Parc des Princes. Et chapeau très bas pour l’avoir fait avec une intelligence redoutable et avec une subtilité qui ne manquera pas d’échapper à certains.

    Mathieu Pereira
    Mathieu Pereira
    Journaliste
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