De La Re-sentida, mise en scène de Marco Layera, avec Diego Acuña, Benjamín Cortés, Carolina de la Maza, Ignacio Fuica, Pedro Muñoz, Carolina Palacios, Rodolfo Pulgar, Sebastián Squella, Benjamín Westfall
Les 2 et 3 février 2015 au Festival de Liège
Ce mardi 03 février, nous avons retrouvé avec grand plaisir l’ambiance du Festival de Liège pour son édition 2015. Nous l’avions quittée voilà deux ans, emplis d’une véritable foi en la valeur émancipatrice du théâtre et c’est dans le même état d’esprit que nous sommes sortis de cette première pièce à laquelle nous assistions, La imaginacìon del futuro.
Basée sur des faits réels mais étant avant tout une fiction libre, la pièce s’appuie sur le suicide de l’ancien président chilien socialiste Salvador Allende lors de la prise de pouvoir très violente du général Augusto Pinochet et des forces armées du pays. En 1970, Salvador Allende est élu démocratiquement président du Chili. Le pays assiste alors à une révolution sans précédent, l’installation au pouvoir du socialisme par une voie pacifique. La démarche sera rapidement mise à mal puisque trois ans plus tard, le Général Augusto Pinochet et les forces armées du pays mènent un coup d’Etat qui coutera la vie à Salvador Allende ainsi qu’à des milliers de chiliens et qui fondera une dictature de 17 années sur le pays. Aujourd’hui le Chili connait un renouveau avec l’instauration d’un processus de transition vers la démocratie. Le peuple est descendu dans la rue pour demander des changement significatifs de la part du système gouvernemental. La jeunesse tout particulièrement , hors des transactions politiques et consensus passés, s’est affirmée comme le moteur de ces nouvelles aspirations démocratiques.
La compagnie chilienne de La imaginacìon del futuro se retrouve donc face à des idées renouvelées, témoignages d’une société toute en nuance, qui veut construire le monde de demain selon les nouvelles réalités de son pays. Pour comprendre où cela les mène, la compagnie se tourne vers le passé du Chili et vers les évènements qui ont déterminé son identité politique. Avec La imaginacìon del futuro, elle veut mener une réflexion critique sur la classe politique et la violence qui ont caractérisé le pays mais également montrer comment les actuels dirigeants de gauche n’ont, selon les acteurs, fait qu’administrer un système précédemment installé par la dictature. Une gauche qui de ce fait ressemble de plus en plus à une droite, qui oublie la force de son héritage politique et qui tourne le dos à ses valeurs.
Pour illustrer ce propos, les acteurs jouent sur ce qu’auraient pu être les derniers instants du président Allende au jour d’aujourd’hui et sortent d’une vision manichéenne des faits pour se libérer de tout sentiment nostalgique. Ainsi les ministres qui entourent le président Allende sur la scène ressemblent plus à une équipe de communication hollywoodienne qu’à des politiciens de gauche. Allende n’arrive pas à exprimer son discours, interrompu sans cesse par ces fanatiques de l’image qui trouvent que le rouge fait trop rouge et que le discours du président est beaucoup trop alarmant pour être partagé tel quel à l’aube de la dictature de Pinochet.
Se baser sur les dernières heures de l’ancien président socialiste chilien pour exercer une critique de la gauche est un choix insolant mais offre un angle de vue particulièrement audacieux sur les nouvelles tendances de la gauche actuelle au sens large. Pour ce faire, la fiction se situe dans un espace temporel indéfini ou les personnages politiques des années 70 côtoient Facebook, où les grands discours de la gauche se lient aux témoignages lissés des chaines télévisuelles. Le tout est pris dans un humour faisant preuve de cruauté et de sarcasme sur la situation actuelle, dans la fiction mais aussi dans le théâtre lui-même.
« Dans le théâtre lui-même » car le Festival de Liège, c’est aussi le plaisir de retrouver des spectacles qui s’inscrivent dans une démarche postdramatique du théâtre, démarche dans laquelle se retrouve La imaginacìon del futuro en faisant appel à des disciplines multiples telles que la vidéo, le théâtre de marionnettes, la danse, le chant, la fiction, et en associant le tout dans une démarche réflexive sur l’essence même du théâtre. Ici tout particulièrement, l’interrogation se porte sur l’importance de la culture face au social. Comment intégrer la dimension sociale dans une pièce au point qu’elle puisse réellement impacter le public? Pour cela, les acteurs n’hésitent pas à faire du théâtre dans le théâtre et à interrompre leur fiction pour se consacrer à une portée plus réaliste de la situation que le Chili connaît aujourd’hui et à se tourner directement sur le spectateur et sur le rôle qu’il a à jouer lui aussi.
La imaginacìon del futuro marque donc pour nous le très bon début du Festival et nous sommes impatients de vous conter la suite…