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    M’appelle Mohamed Ali au Public

    De Dieudonné Niangouna, mise en scène de Jean Hamado Tiemtore, avec Etienne Minoungnou

    Du 14 janvier au 14 février 2015 à 20h30 au Théâtre Le Public

    M’appelle Mohamed Ali  est d’abord le fruit d’une rencontre, celle de trois hommes de théâtre africains : le comédien burkinabé Etienne Minoungnou , à l’origine du plus important festival de théâtre en Afrique à Ouagadougou, les Recréâtrales ; l’auteur congolais Dieudonné Niangouna  qui a spécialement écrit le texte pour le comédien, à partir d’entretiens qu’il a eus avec lui ; et le metteur en scène burkinabé Jean Hamado Tiemtore. Tous trois hommes de théâtre engagés, cherchant à délivrer leurs pays de leur dépendance vis-à-vis de l’étranger tout en dénonçant le peu d’attachement des gouvernements locaux à la culture, ils cherchent à développer un théâtre africain contemporain fortement marqué par les notions de résistance et d’indépendance.

    Le mythe Mohamed Ali est ici convoqué avant tout pour ce qu’il symbolise : le combat pour la dignité personnelle et le courage face au racisme, la puissance de l’intelligence individuelle face aux assignations collectives, l’orgueil face à l’humiliation. La boxe est ici avant tout mise en scène comme une forme de résistance, et Ali comme une inspiration possible pour forger une culture noire fière d’elle-même mais surtout un destin africain, dans un continent dévasté où il faut, plus que jamais, « boxer la situation ».

    Mais la boxe est aussi un jeu, comme le théâtre, et Etienne Minoungnou de mettre à distance l’histoire d’Ali pour évoquer en parallèle son propre récit biographique, ses propres réflexions politiques – les siennes ou celles de Niangouna –  ne cessent de traverser l’histoire d’Ali, de l’interrompre, de la déborder, comme s’il y avait urgence à dire, à mêler le théâtre et la vie. Le rappel d’une figure légendaire charismatique à la réalité présente prend la forme d’un combat double, celui du Noir africain d’aujourd’hui et celui de l’homme de théâtre qui chercher à élaborer une parole constructive, militante, audible chez lui. Tantôt le comédien incarne Ali en s’inspirant d’épisodes de sa vie parmi les plus emblématiques de son combat politique (le procès suite à son refus de combattre au Vietnam, notamment), tantôt il laisse monter le Mohamed Ali en lui, ouvrant la voie à une parole férocement libre, tordant le cou à tous esclavages, tous les préjugés, toutes les peurs. Sur le ton de la confidence, oscillant entre la légèreté blagueuse, la provocation ironique et la fureur,  Etienne Minoungnou laisse éclater dans une langue à la fois coupante et lyrique l’espérance de l’individu conscient de sa force et la colère des opprimés. Loin de la naïveté et d’un confort consensuel, le texte n’en est pas moins un appel humaniste au dialogue, à l’échange, au partage d’un monde : dans une récente interview, l’acteur rappelait que dans sa langue, en moré, « on dit que le théâtre est un espace de discussion sociale pour élargir la parenté ».

    Certes, le va-et-vient entre le monologue et l’histoire d’Ali conduit parfois à la dispersion ; le texte n’évite pas toujours l’écueil de la leçon, un rien pesante, sur l’histoire des Noirs. Et, malgré toute l’admiration que suscite le travail de ces hommes de théâtre qui œuvrent au développement culturel en Afrique, la revendication de l’identité d’artiste comme conscience supérieure peut un rien agacer. Toutefois, la drôlerie, la sincérité et la générosité l’emportent, et M’appelle Mohamed Ali nous touche jusque dans ses maladresses. Refusant l’identification à une souffrance qui serait l’essence indépassable de l’expérience noire, tout en assumant une identité noire farouchement indomptable et donc potentiellement subversive, le texte appelle chacun de nous à rendre les coups reçus, à transformer la peine en combat, à trouver sa voix : « je saigne, j’enseigne, je fais saigner », écrit Nangouna.

    Emilie Garcia Guillen
    Emilie Garcia Guillen
    Journaliste du Suricate Magazine

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