The Imitation Game
de Morten Tyldum
Biopic, Drame, Thriller, Guerre
Avec Benedict Cumberbatch, Keira Knightley, Matthew Goode, Mark Strong, Rory Kinnear
Sorti le 14 janvier 2015
Le film se base sur l’histoire vraie d’Alan Turing, un mathématicien anglais qui a intégré l’équipe de scientifiques de Bletchley Park et a ainsi aidé à percer les codes d’Enigma, une machine de communication militaire utilisée par les nazis pendant la guerre.
The Imitation Game est un toffee de début d’année. Prenant pour sujet une histoire romanesque en soi*, le film du norvégien Morten Tyldum, adapté d’après le livre de Andrew Hodges, a quelque chose du conte de fée malgré les drames qui s’y jouent. L’impression est due à un schéma actantiel dont Turing est le héros peu conventionnel, à la photographie léchée du film et à la superbe bande originale d’Alexander Desplat.
Le film traite bien sûr du craquage des codes de la machine Enigma, mais il est avant tout un hommage à un homme que la postérité avait jusqu’ici oublié.
L’histoire de l’Histoire
En 1938, à 28 ans, Alan Turing intègre la Government Code and Cypher School (GC&CS) du gouvernement anglais. L’année suivante, il rejoint à Bletchley Park, une station militaire de décryptage sous les ordres du MI6, les services secrets anglais. Turing travaille sur Enigma, un type de machine électromécanique des années 20 utilisée par les Allemands pour leurs communications militaires. En réalité, dès le début des années 30, les Polonais établissent une théorie mathématique leur permettant de déchiffrer les codes ennemis. En 1938, ils mettent au point « Bomba », une machine électromécanique capable de traiter plus rapidement les codes allemands. Peu après, les Allemands ajoutent deux rotors aux trois rotors initiaux de leurs machines Enigma : cela augmente considérablement les combinaisons possibles et limite ainsi le travail des Polonais. En 1939, lorsque la Pologne est envahie, les cryptographes polonais gagnent l’Hexagone et partagent le fruit de leur travail avec les Français (qui n’en feront que peu de cas) et avec les Britanniques.
Sur la base du fabuleux travail déjà réalisé par les Polonais, et à partir d’une suggestion du mathématicien Gordon Welchman, absent du film de Tyldum, Turing perfectionne une nouvelle « bombe », du nom de la machine polonaise initiale, plus efficace que cette dernière. Cependant, dès 1941, Turing et son équipe sont confrontés à des limitations pratiques : ils ne disposent pas d’assez de bombes ni de personnel pour traiter l’information. Ils interpellent alors Churchill par lettre et demandent plus de ressources, ce qu’ils obtiendront. Cet élément est repris dans le film, mais sous la forme d’une séquence tenant plus de la dispute de bac à sable – le bac à sable des services secrets britanniques tout de même.
C’est dans la hutte numéro 8 de Bletchley Park que Turing réussit à déchiffrer les messages de la marine allemande, encodés eux aussi dans des machines Enigma, et plus complexes à déchiffrer que les autres codes. Il donne ainsi accès à de précieuses données sur les positions et les mouvements des U-boats allemands responsables du naufrage de nombreux bateaux alliés. La connaissance est une arme : les Allemands ne sauront jamais que les Anglais étaient capables de décrypter leurs messages codés. Les activités de ces cryptographes resteront un secret jusque dans les années 70. De l’opinion de Churchill lui-même, Alan Turing a apporté la plus grande contribution dans la victoire des Alliés et il a été estimé que son travail a permis de raccourcir la Deuxième Guerre mondiale de deux ans.
En 1952, condamné pour atteinte à la pudeur avec son amant, jeune homme de 19 ans, Turing se voit contraint de choisir entre deux ans d’emprisonnement ou un traitement hormonal pour le « guérir » de son homosexualité. Il opte pour la deuxième proposition. Deux ans plus tard, en 1954, il meurt d’un empoisonnement au cyanure. L’enquête classe l’affaire comme un suicide, mais de nombreux proches considèrent qu’il s’agit d’un accident. Le 24 décembre 2013, Alan Turing reçoit à titre posthume une grâce royale.
L’apport de Turing résulte en partie de la collaboration avec d’autres scientifiques. Cependant Turing fait réellement partie de ces personnalités qui ont marqué leur époque, comme l’a exprimé Hugh Alexander, une personnalité importante de son équipe Bletchley Park : « It is always difficult to say that anyone is absolutely indispensable but if anyone was indispensable to Hut 8 it was Turing. »
The Imitation Game
Le film de Tyldum tisse habilement entre elles trois périodes de la vie de Turing : sa jeunesse, son travail à Bletchley Park et les poursuites judiciaires dont il fera l’objet pendant les années 50. L’histoire a beau être déjà connue, le suspense et l’émotion sont maintenus de bout en bout.
C’est que le casting est de choix. Fidèle à son côté nerdy de Sherlock Holmes, Benedict Cumberbatch (à prononcer comme vous le pouvez), nous fait au début sourire par sa gestion de l’humour digne d’un Sheldon Cooper (The Big Bang Theory). Néanmoins, son jeu dépasse la comparaison et aboutit à une prestation complète et touchante. Celle-ci est magnifiquement initiée par Alex Lawther dans la peau de Turing enfant. Autour de lui, gravite l’équipe de scientifiques de Bletchley composée, entre autres, de John Cairncross (joué par Allen Leech, le chauffeur Irlandais de Downton Abbey), Hugh Alexander (joué par Matthew Goode, notamment vu dans Match Point) et Joan Clarke (jouée par Keira Knightley).
Contrairement aux croyances de certains, la présence de cette femme n’est pas un ajout au service d’une quelconque bienséance féministe moderne. Au même titre que Turing, le personnage de Joan Clarke, et des autres femmes travaillant à Bletchley Park, a jusqu’ici été grandement négligé. Cette amie de Turing a pourtant joué un rôle important dans le craquage des codes et la vie même d’Alan Turing. Dans ce rôle « glamourisé » dont l’écriture laisse à désirer, Keira Knightley réussit à offrir une performance décente.
Récompensé par le prix du public au festival de Toronto cette année et en lice pour les oscars, The Imitation Game subit le revers de la médaille et est accusé d’être consensuel, notamment concernant la sexualité d’Alan Turing. Si le film reste discret sur la sexualité de son protagoniste – on n’y voit/entend rien de trop olé olé –, les accusations d’« hétéro-blanchiment » tiennent cependant de l’ergotage. Car malheureusement, ne pas en faire assez ou trop en faire mène souvent au même résultat : être taxé de bigoterie.
Sans être exhaustif ou d’une fidélité à la réalité irréprochable, The Imitation Game est cependant un drame historique passionnant qui accorde la lumière de la postérité à ceux qui auraient dû recevoir la gloire du présent.
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* « La vie se permet des combinaisons qu’aucun romancier ne peut se permettre, sous peine de tomber dans le « romanesque » » [Victor Klemperer]