Mélange de country, RnB, pop et soul nostalgique : avec son premier EP Innocnt de son vrai nom Antoine Innocent tisse une œuvre à son image : plurielle, libre, habitée. Pensé comme un journal intime, Innocnt présente ses doutes et ses métamorphoses.
Né d’un père haïtien musicien parti tenter sa chance aux États-Unis et d’une mère d’origine roumaine, Antoine a grandi dans un foyer où le mot origine rime avec mélange. Une enfance faite de contrastes où l’on passait d’un disque d’Otis Redding à un CD d’Indochine. Résultat : une musique inclassable, pas vraiment calibrée pour les algorithmes, mais assez sincère pour survivre au cynisme ambiant.
Repéré, il y a plus de dix ans dans The Voice Belgique, le gamin aux bouclettes a troqué les chansons de reprises contre ses propres partitions. Aujourd’hui, il a des dreadlocks, une voix éraillée et un EP bricolé avec l’énergie d’un artiste qui sait qu’il n’a plus rien à prouver à personne.
À l’occasion de la sortie de SIX, Innocnt s’est confié à nous pour parler musique, héritage, et liberté de créer sans barrière.

Ton EP, SIX, est sorti le 24 janvier dernier. Quel a été la réception de ce projet. Comment est-ce que tu vis ce moment?
Ça a été assez intense. C’est la première fois que je sors des morceaux, donc je l’attendais depuis longtemps. Cela fait dix ans que je rêve de ce moment. Ça a pris du temps de créer exactement ce que je voulais. Ensuite, on est entrés dans la phase promo. Ce qui était drôle, c’est que j’ai toujours beaucoup écrit, mais je n’avais jamais fait de promo avant. J’ai découvert les interviews, le fait de raconter l’histoire de mes chansons. J’ai découvert, une nouvelle facette de la musique que je ne connaissais pas.
Ce projet englobe six chansons qui parlent d’une rupture amoureuse. Est-ce que la personne concernée t’a contacté après la sortie ?
Elle m’a plus que contacté, elle est à tous les concerts !
Quelle a été sa réaction d’avoir un projet un peu dédié à votre histoire ?
On est restés longtemps ensemble, donc elle connaissait déjà toutes les chansons. Je les ai écrites pendant la relation. Il m’arrivait même de lui faire écouter certains morceaux ; elle me disait ce qu’elle aimait ou pas. Et après la fin de notre relation, elle m’a toujours suivi. J’ai vraiment de la chance.
C’est donc un album de rupture, mais tu l’as écrit pendant la relation ?
Oui. La relation a été faite de beaucoup de va-et-vient. On est restés ensemble six ans, mais on était jeunes, on a commencé tôt. Il y a eu pas mal de ruptures temporaires. Et même si c’était des pauses de trois semaines, à 19 ans, trois semaines, c’est la fin du monde. Du coup, c’est pendant ces moments-là que j’écrivais.
Dans l’EP, il y a six chansons mais il y a en une qui se distingue par rapport aux autres, c’est la sixième intitulé “Goodbye”. Est-ce que tu peux m’en dire plus?
Cette chanson, c’est la première que j’ai écrite, à 19 ans. Et paradoxalement, c’est la plus mature de l’EP. Ce qui est drôle, c’est qu’à l’époque, j’avais beaucoup de mal à partir. C’était toujours elle qui rompait, et moi je restais accroché. Mais cette chanson, elle parle de deux personnes qui s’aiment, mais qui se disent au revoir parce que ça ne fonctionne pas. Alors que les autres morceaux, comme Give Me Your Soul, sont bien plus toxiques : « Donne-moi ce que tu me dois », ce genre de truc. C’est beaucoup moins mature.
L’EP a été pensé pour la scène. Comment as-tu réussi à retranscrire cette énergie dans le studio ?
On a tout enregistré en live, sur bande. C’était à l’ancienne ! On écoutait beaucoup Stevie Wonder à ce moment-là, donc on s’est dit : allez, on joue tout en même temps. On était 11 ou 12 dans la salle… Je ne referai plus jamais ça ! Trop de stress. Le résultat était chouette, mais ça sonnait trop année 70, et pas dans le bon sens. C’était nostalgique d’une époque que je n’ai pas connue. Moi, je veux que ça sonne moderne, avec des influences vintage, mais digeste aujourd’hui. Donc on a repris les pistes et on les a modernisées avec un autre arrangeur.
« Comme beaucoup d’artistes, j’aspire à créer ma propre case, à tracer ma propre voie »
Il y a un côté très américain dans ton projet. Tu peux m’expliquer l’influence des États-Unis dans ton personnage, « Innocent » ?
Mon père est américain et haïtien. Il vit aux États-Unis depuis ses 20 ans, il est chanteur là-bas. Depuis que je suis petit, je l’ai suivi sur ses tournées chaque été. Ce sont des tournées à petit budget pas du Bruce Springsteen. J’étais le gamin de six ans qui vendait les CD pendant que son père chantait. On a aussi déménagé au Canada quand j’avais cinq ans, pour être plus proches de lui. Donc j’ai vraiment baigné dans la culture nord-américaine. Et dès que j’ai eu les compétences, j’ai pu monter sur scène avec lui. Il m’a influencé dans mes goûts, mon style, mais pas directement dans ce projet-là.
Ton premier EP navigue entre plusieurs genres. C’est un patchwork de sonorités soul, rock, parfois même country. Là où beaucoup de premiers EP s’ancrent dans une esthétique bien définie, toi, tu choisis l’éclectisme. Tu n’as pas peur que ça brouille un peu ton identité artistique ?
C’est un vrai sujet, cette peur de ne pas rentrer dans une case. Et en même temps, je n’en ai pas envie. Comme beaucoup d’artistes, j’aspire à créer ma propre case, à tracer ma propre voie. Mes influences, ce sont des artistes comme Bruno Mars, qui peuvent s’approprier n’importe quel style et en faire quelque chose d’universel. À mes yeux, une bonne chanson, c’est avant tout une chanson forte, peu importe son habillage musical. C’est ce que j’essaie de faire : raconter des histoires, sans me limiter à un genre. Mais si je devais vraiment me situer, je dirais que mon ADN, c’est quelque part entre la soul et le rock.
Tu es d’origine haïtienne, une île avec un héritage musical immense avec un style très connu comme le kompa. Est-ce une influence que tu envisages d’explorer davantage dans le futur ?
Carrément. Et d’ailleurs, je l’ai déjà fait, presque de façon instinctive. En 2020, on devait entrer en studio pour enregistrer le premier EP, puis le Covid a tout stoppé. J’avais quand même envie de sortir quelque chose. J’ai dit à ma maison d’édition que j’allais balancer un son sur SoundCloud pour mes potes… Finalement, je l’ai mis sur Spotify. Ce morceau, je l’ai composé dans ma cave, inspiré du kompa ou du moins, de son énergie. Ce n’est pas du kompa au sens strict, mais il en porte les couleurs, le groove en filigrane. C’était une manière pour moi de faire un clin d’œil à mes racines haïtiennes, de les intégrer dans mon langage musical. Le titre s’appelle Naughty Boy. Il n’est plus disponible, mais je le joue en live. Pour ma release party à la Boule Noire à Paris, j’avais même imaginé finir avec Naughty Boy en mashup avec un morceau de Joe Dwet Filé. Ça ne s’est pas fait, faute de temps pour répéter mais l’idée reste dans un coin de ma tête.
On te compare souvent à Lenny Kravitz, notamment pour ton style. Tu le vis comment ? C’est agaçant ou flatteur ?
Honnêtement, ça me fait sourire. On m’a toujours comparé à quelqu’un, surtout en Belgique ou en France. À chaque coupe de cheveux, une nouvelle association : quand j’ai les cheveux courts, c’est Drake. Une casquette ? Bruno Mars. Une calvitie ? Fabrice Éboué. Et avec des locks, forcément, Lenny Kravitz. Être comparé à Lenny Kravitz, c’est quand même flatteur. Le mec est une vraie rockstar, une légende. J’ai aussi d’autres influences, comme Luka Sabbat niveau look.
On sent que tu soignes ton look. Combien de temps tu passes à t’habiller le matin ?
Je vais te faire une petite exclusivité : en réalité, je suis très terre-à-terre. Pratico-pratique, comme on dit. Dès qu’il commence à faire froid, je perds tout sens du style. Entre novembre et mars, c’est col roulé noir et pantalon noir tous les jours. En hiver, c’est zéro prise de tête. En revanche, quand les beaux jours reviennent, je commence à faire plus attention. Depuis un ou deux ans, je m’y intéresse davantage : je cherche des inspirations. Il m’arrive de passer 10 minutes à trouver une tenue qui me plaît et dans laquelle je me sens bien. Mais, quoi qu’il arrive, le confort reste la priorité !