Titre : Je ne me lasse pas de vivre
Auteur.ice : Jaroslav Melnik
Edition : Acte Sud
Date de parution : 06 novembre 2024
Genre du livre : Roman
Faisons un énorme bond dans le temps pour nous retrouver en 5870. Jaroslav Melnik nous a concocté un univers atypique où les hommes et les femmes ne meurent plus. Tant que le cerveau est intact, il est désormais possible de le transplanter dans un korg, un corps jeune et sain, sans affect ni intellect. Les korgs sont donc uniquement utilisés pour permettre à la race humaine de continuer à vivre sous une apparence différente et jeune. Vous pouvez ainsi, au crépuscule de votre vie, devenir un Apollon ou une bombasse de 20 ans, alors que vous n’étiez à la base qu’une personne quelconque au bidou tout mou ; ou encore vous retrouver dans la peau d’une personne du sexe opposé et d’enfin savoir ce que ça fait de faire pipi debout ou d’accoucher. Ca c’est pour le côté « fun ».
Mais voyez plus loin et imaginez l’hypothèse selon laquelle votre mère en fin de vie devient cette bombasse alors que vous avez la cinquantaine. Vous allez la voir refaire sa vie et sans doute fonder une famille, loin de vous, le vieil enfant encombrant et ventripotent. Vous allez peut-être même la désirer, dans ce monde où au fil des siècles et des différentes apparences et nombreuses vies de chacun, vous ne reconnaîtrez plus ni vos parents, ni vos enfants. Autrement dit, l’inceste, bien qu’involontaire, est inévitable.
C’est dans cet univers glauque que nous entraîne Jaroslav Melnik, qui nous avait déjà tellement interpellés (et horrifiés !) avec le terrible Macha ou le IVè Reich, dans lequel il nous poussait déjà dans nos retranchements en matière de réflexion. On voit que l’auteur lituano-ukrainien a la double casquette d’écrivain et de philosophe.
Ce roman d’anticipation est incroyablement novateur dans sa vision cauchemardesque de l’individualisme, ici poussé à son paroxysme. En effet, quand vous acceptez de fermer les yeux sur l’origine et le destin des korgs, à savoir des humains conçus et élevés à la chaîne dans des laboratoires, sans accès à l’éducation, dans une vie courte dénuée d’amour et dont l’unique but est de vous permettre de vivre des siècles, c’est que votre éthique est salement amochée. C’est ainsi que Dio, un immortel de plus de 1000 ans, voit ses œillères tomber lorsqu’il rencontre un groupe de mortels, des résistants qui dénoncent les conditions de vie des korgs et pour qui l’immortalité est une aberration de la nature. Insidieusement, les relations entre mortels et immortels commencent à dégénérer.
Il est vrai que l’intrigue n’est pas exaltante, en revanche, ce roman futuriste nous met en garde contre les dérives de l’IA et la séduction des dictateurs. Ce récit fait un affolant mix des deux avec le Cervart, un cerveau artificiel qui contrôle l’humanité grâce à des puces et qui efface les données qui ne lui plaisent pas pour manipuler les gens et les enchaîner à un mode de vie et de pensée qui n’ont plus rien d’humain, sous couvert de liberté.
Ce livre va sans doute alarmer les détracteurs de l’intelligence artificielle, ceux qui pensent que nous allons tous devenir des John et Sarah Connor qui n’auront qu’un objectif en tête : buter les machines avant qu’elles ne nous contrôlent et nous réduisent en esclavage…ou en bouillie.
Alors nous, les Antiques ou Sauvageommes, comme les personnages de ce livre nous surnomment, soyons attentifs à rester humains dans tous les sens du terme, histoire de ne pas se faire écrabouiller par les machines, mais surtout de rester tolérants et respectueux avec nos semblables. Amen !