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    Qu’est-il arrivé à James Bond ?  

    Le premier Casino Royale, ou quand 007 était américain

    Saviez-vous que Sean Connery n’était pas le premier acteur à avoir incarné James Bond au cinéma ? Qu’une autre Mary Poppins a tenu le parapluie quinze ans avant Julie Andrews ? Ou que la première apparition de l’inspecteur Columbo s’est faite sans Peter Falk ?

    En effet, avant d’être les célèbres personnages que nous connaissons aujourd’hui, plusieurs héros ont connu une autre vie et d’autres visages, se métamorphosant au gré de leurs aventures jusqu’à devenir ceux que nous connaissons désormais.

    C’est ainsi qu’avant de prendre vie sous les traits de Sean Connery, James Bond était américain !

    Barry Nelson dans le rôle de « Jimmy » Bond

    Casino Royale (1954)

    Si, officiellement, James Bond 007 contre Dr. No (1962) fut le premier film à mettre en scène le célèbre espion de Sa Majesté, l’honneur devait originellement revenir à Opération tonnerre qui sortit finalement quatre ans plus tard ; tandis qu’un scénario de Moonraker daté de 1956 a récemment été retrouvé, indiquant que Ian Fleming envisageait également de porter ce roman à l’écran, vingt-trois ans avant que cela ne soit fait avec Roger Moore dans le rôle de l’agent secret.

    Mais en réalité, Dr. No n’est pas le premier roman de James Bond à avoir été adapté pour le Septième art ! En effet, en 1954, huit ans avant la sortie de ce premier long-métrage produit par EON Productions, les téléspectateurs américains auront pu découvrir sur leurs écrans une adaptation de Casino Royale, premier roman de Ian Fleming publié l’année précédente.

    Si ce récit n’aura pas rencontré un très grand succès aux États-Unis, il aura fait suffisamment de bruit pour attirer l’attention du producteur Gregory Ratoff. Quant à Ian Fleming, désireux de voir son personnage porté à l’écran, il céda les droits d’exploitation à celui-ci pour une durée de six mois et la somme de 600 $, tandis que Ratoff en confia l’adaptation à la chaîne américaine CBS qui déboursa à son tour 1000 $ pour les droits de diffusion et intégra le récit à sa série d’anthologie Climax!

    Le héros fut dès lors américanisé et le rôle de « Jimmy » Bond confié à l’acteur Barry Nelson – que l’on verra bien plus tard en directeur de l’Overlook Hotel au début du Shining de Stanley Kubrick ; tandis que Le Chiffre, principal antagoniste du récit, prit vie sous les traits de l’immense Peter Lorre. C’est ainsi que ce téléfilm de cinquante minutes fut filmé et diffusé en direct le 21 octobre 1954.

    Il est intéressant de noter que, lorsque CBS contacta Barry Nelson, l’acteur n’avait pas lu Casino Royale. Bond était alors quasiment inconnu aux États-Unis et Nelson, qui était quant à lui en vacances en Jamaïque, ne semblait pas désireux d’accepter ce rôle. Ce n’est qu’en apprenant qu’il ferait face à Peter Lorre qu’il accepta de prêter ses traits à l’agent secret.

    Après sa diffusion, le téléfilm fut oublié et même considéré comme disparu, jusqu’à ce qu’un certain Jim Schoenberger en retrouve par hasard une copie au format cinégramme sur un marché aux puces en 1981. En juillet de la même année, l’auteur Steven Jay Rubin qui venait de publier le livre The James Bond films: A Behind the Scenes History organisa une projection du film en allant jusqu’à inviter Barry Nelson. C’est à ce moment que le téléfilm refit définitivement surface, étant par la suite diffusé à la télévision sur la chaîne TBS en 1992, puis édité en VHS.

    Interviewé en 1983 par le magazine Starlog, Barry Nelson reviendra sur cette expérience : « C’est un peu nouveau pour moi d’être le premier. J’ai toujours approché James Bond avec humilité. Sean Connery était 007 et je n’ai jamais prétendu être autre chose que 001. Personne ne m’interpelle jamais dans la rue parce que j’ai été James Bond ». Ajoutant au passage que Casino Royale était « tout au plus un modeste effort. Nous n’avions pas tout ce dont ils disposent dans les films Bond. Cet épisode a été tourné en live dans les studios de CBS Television City avec un budget approximatif de 25 000 $, tandis que les Bond actuels ne descendent pas sous la barre des 25 millions ou plus ».

    L’acteur américain estimait également être peu satisfait de ce rôle écrit, selon lui, maladroitement : « Aucun charme, aucun caractère, rien du tout ».

    Quant à la production, elle réalisa au dernier moment que l’épisode était trop long de trois minutes et qu’il faudrait réaliser des coupes : « Ils ont donc coupé trois mots par-ci, une ligne par-là, un demi-mot ailleurs et le script a fini par ressembler à un mauvais tic-tac-toe. Je vous l’affirme, cela était tellement effrayant que lorsque je suis entré sur le plateau, ma seule pensée était “Oh mon Dieu, si seulement je pouvais me sortir de cette situation” ».

    Ces rebondissements auront provoqué un stress chez Nelson, qui se traduira dans son jeu d’acteur : « Lorsque les gens deviennent nerveux, ils développement certains tics. Quant à moi, j’avais un tic physique. Quelqu’un a dit “Il essaie d’imiter Bogart”. Je n’essayais d’imiter personne, c’était simplement de la peur ». Ce à quoi Peter Lorre réagit avec humour : « Ressaisis-toi Barry, que je puisse te tuer ! »

    Barry Nelson (Jimmy Bond) à gauche et Peter Lorre (Le Chiffre) à droite

    Soulignant un peu plus la maladresse de cette réalisation, le coscénariste Charles Bennett nous raconte qu’à la fin du téléfilm, au moment où Le Chiffre était tué par Jimmy Bond : « Peter [Lorre] rendait son dernier souffle tandis que la caméra envoyait le show à travers l’Amérique tout entière. Mais à ce moment, le réalisateur a appuyé sur le mauvais bouton et, au lieu que cette scène ne conduise à une autre, les caméras sont restées fixées sur Peter ‘mort’. Croyant son travail terminé, celui-ci s’est levé et est gentiment retourné à sa loge affichant un sourire malicieux, à la grande surprise de probablement trente millions de téléspectateurs ». Voyant cela, Charles Bennett fut consterné, « tout comme Peter lorsqu’il apprit ce qui s’était passé ».

    Bien que l’enregistrement retrouvé en 1981 ne montre pas cette erreur et que l’historien James Chapman affirme qu’elle n’ait en réalité jamais existé, on peut cependant voir Peter Lorre sortir de son personnage pour un instant au moment même où son bras droit est tué par Bond !

    Si cette première adaptation prend certaines libertés avec le roman, que « Jimmy » Bond y est américain, Félix Leiter un Britannique rebaptisé Clarence Leiter et que la James Bond Girl, Valérie Mathis, est un personnage composite basé sur deux personnages du roman (Vesper Lynd et René Mathis), Casino Royale version 1954 constitue un début télévisuel timide, maladroit mais néanmoins fascinant pour le célèbre espion.

    Bibliographie

    James Chapman, “The Forgotten Bond: The CBS production of Casino Royale”, dans Jaap Verheul, The Cultural Life of James Bond. Specters of 007, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2000. 

    Clément Feutry, « Casino Royale de 1954 (Climax!) : le James Bond oublié » [En ligne], https://www.commander007.net/2016/casino-royale-de-1954-le-james-bond-oublie/, 12 mars 2016, (Page consultée le 14 août 2022, Dernière mise à jour non communiquée). 

    Lee Goldberg, “Barry Nelson The First James Bond”, dans Starlog, n°75, octobre 1983. 

    Stephen D. Youngkin, The Lost One. A life of Peter Lorre, Lexington, The University Press of Kentucky, 2005. 

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