Titre : Le génie de Beyrouth T1, Rue de la fortune de Dieu
Auteur : Sélim Nassib et Lena Merhej
Éditeur : Dargaud
Sortie : 07 février 2025
Genre : Documentaire
Le premier tome d’un triptyque consacré à Beyrouth – son génie, sa diversité mais aussi ses traumatismes – sortait chez Dargaud en ce début février. L’occasion de découvrir (ou plutôt de redécouvrir) l’histoire de ce petit pays qui fait trop souvent l’actualité.
Depuis les succès de L’Arabe du Futur et Persepolis, on ne compte plus les récits autobiographiques ancrés dans la géopolitique du monde arabe et transposés en romans graphiques. Il semblerait que ce soit un marché lucratif pour les maisons d’édition qui nous bombardent de guerres civiles et de dictatures. Deux semaines après la sortie du tome 2 de Ramwa qui racontait l’adolescence algérienne de son auteur dans un climat d’insécurité politique, Dargaud remet ça avec Le génie de Beyrouth qui, comme son nom l’indique se passe au Liban. Mais, à la différence de son camarade et ce, malgré le ton intimiste du récit, rien ne laisse présager dans La légende de Beyrouth que ce soit la vie de l’auteur qui soit mise en case.
On dit de Beyrouth qu’elle a son propre génie et qu’à moins de détruire la ville, il restera à jamais invisible. Au début des années 70, le génie est comme un souffle qu’on sent sur sa nuque. Le chuchotement de plusieurs langues et cultures qui se mélangent. Beyrouth est, à l’époque, une enclave pacifiée, protégée des conflits qui détruisent les pays voisins. Et pourtant, refuge pour les communautés persécutées de la région, Beyrouth porte fièrement sa multiculturalité. Elle est la preuve que des peuples aussi divers que les Chiites, les Maronites, les Assyriens, les Juifs, les Arméniens et les Coptes peuvent partager leur quartier et vivre ensemble.
Mais l’ombre du traumatisme plane au-dessus de cette ville encerclée par la montagne. Située au pied du Mont Liban et du Mont Anti-Liban, tout jusqu’à sa géographie laisse penser que la paix peut y être fragile. Il faut dire que les peuples qui y ont migré ont emporté avec eux la peur d’être persécutés. D’être dominés par l’autre. La suite, on la connaît. Celle qu’on appelle La longue guerre civile finira par s’imposer à la ville, quitte à déstabiliser le génie.
En à peine plus d’un an on compte au moins trois bande dessinées sur le sujet de la guerre civile libanaise. D’abord Une éducation orientale publié chez Casterman, suivi par Beyrouth malgré tout chez Les Escales. Vu sous cet angle, l’éclectisme des thématiques en bande dessinée paraît presque aussi incertain que le cosmopolitisme du Beyrouth avant guerre. Mais pour sa défense, Le génie de Beyrouth n’adopte pas, comme c’est d’habitude le cas, le point de vue d’un narrateur unique. En fait, c’est le quartier qui raconte son histoire à travers les récits de vie de ses habitants.
On pourrait également considérer le traitement graphique comme une marque de singularité. Même si le trait souple de Lena Merhej n’est pas, à priori, innovant, il reste peu habituel pour ce type d’histoires pour lesquelles on préfère généralement un style humoristique ou journalistique. L’illustratrice, également d’origine libanaise, elle, se tourne vers un dessin simple avec très peu de détails et mise sur une gamme réduite de couleurs, tantôt sombres, tantôt acidulées. La mise en retrait du narrateur dans l’écriture et les choix graphiques tendances – ou du point de vue de Dargaud « la verve grave et légère de Sélim Nassib et le dessin lumineux de Lena Merhej » – donne l’impression qu’une histoire peut être racontée mille fois, elle le sera toujours de manière différente. L’important ce n’est pas le récit mais la façon de le raconter. Même si l’argument de vente n’est pas forcément le plus convaincant.