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    Le retour du cinéma érotique, entre audace, liberté sociétale, féminisme et réinvention

    Longtemps relégué aux marges de l’industrie cinématographique, le film érotique semble opérer un retour en force, porté par de nouvelles productions audacieuses et une distribution largement facilitée par les plateformes de streaming. Après des décennies de relatif puritanisme, le genre retrouve une visibilité inédite, questionnant à nouveau les rapports entre sensualité et grand – mais surtout petit – écran.

    Le 28 janvier dernier, Emmanuelle, revisité par Audrey Diwan, réalisatrice de L’Événement (Lion d’or à Venise en 2021), a été dévoilé en VOD, après un parcours discret dans les salles obscures. En parallèle, Netflix a enrichi son catalogue des trois volets de Cinquante nuances…, accessibles depuis le 1er février, tandis que Babygirl de Halina Reijn (Bodies Bodies Bodies) s’affiche en salles depuis le 15 janvier. À ces sorties s’ajoute Sanctuary, thriller érotique qui, faute de diffusion en salle, a trouvé une seconde vie sur Netflix dès le 6 février (non disponible à l’heure actuelle en Belgique). Tout comme le film polonais 365 jours, véritable succès inattendu de la plateforme, avec Michele Morrone, qui doit incarner prochainement le mystérieux jardinier Enzo dans l’adaptation du best-seller « La Femme de ménage« .

    Elément important à mettre en parallèle avec le succès de ce genre assez restreint, c’est le regard de la femme et de son plaisir, chose restée trop longtemps taboue, voire liée à la performance avant tout. Comme le précise Audrey Diwan lorsqu’elle parle d’Emmanuelle : « J’ai eu envie de raconter le chemin d’une femme qui ne jouit pas et sa conquête progressive du plaisir. Comment on revient à soi, comment on lâche prise ? Ce qui m’a donné envie de faire le film, c’est d’abord une longue discussion philosophique sur l’érotisme au cœur du livre. Elle m’a fait penser que l’érotisme est avant tout une question de cadre, de restriction, de réflexion sur ce qui est le montré et le caché. Partant de ça, d’autres interrogations plus intimes me sont venues, notamment sur mon parcours de femme et mon propre rapport à la sexualité, à la jouissance, mon désir d’affranchissement face aux normes qui régissent la séduction et le sexe. A notre époque, il me semble que la jouissance est totalement liée à l’impératif de performance, au sens capitaliste du terme. Il faut rentabiliser, optimiser, profiter. Pour moi, la question du film est donc devenue : comment échapper à ce cadre qui exige de nous qu’on jouisse de tout et qu’on performe, tout le temps, au détriment même du plaisir ? La seule chose qu’on puisse opposer à cette injonction, c’est d’avoir le courage de se mettre en danger. De prendre le risque de ne pas « réussir » pour mieux se reconnecter à soi et aux autres ».

    Halina Reijn, dans un entretien accordé à Gaëlle Moury (journal Le Soir) et publié le 15 janvier 2025, va également en ce sens et invite la femme à se réinventer : « Tout le monde est ange et démon mais les femmes n’ont jusqu’ici pas eu la chance d’explorer les parts les plus sombres de leur identité. C’est donc très sain de le faire. Examinons nos faiblesses, notre cupidité, notre corruption, notre rage, nos désirs sexuels… et prenons de l’espace ».

    Cette résurgence de l’érotisme à l’écran ne se limite toutefois pas au seul cinéma. Dans une époque marquée par une fluidité accrue des représentations et une volonté de déconstruire les normes, le mouvement dit du Kink Positive s’impose comme un élément central de cette évolution. Loin de l’imagerie sulfureuse des années 1970-1980, ce courant prône une approche décomplexée et consentie de la sexualité, où le plaisir et le respect des désirs de chacun sont mis en avant. Cette philosophie imprègne de plus en plus la culture populaire, notamment à travers des œuvres cinématographiques qui explorent les limites de l’intime avec un regard renouvelé.

    Le phénomène dépasse également les frontières du septième art. Dans l’univers du manga, les récits explicitement érotiques connaissent une popularité grandissante auprès des jeunes adultes. Qu’il s’agisse de Boys’ Love aux intrigues sensuelles, de Josei explorant le désir féminin ou de titres flirtant avec l’érotisme le plus assumé, ces œuvres s’affranchissent des tabous et trouvent un écho auprès d’un lectorat avide de récits où le plaisir et les émotions ne sont plus occultés.

    Si le retour du cinéma érotique témoigne d’un changement de paradigme, il s’inscrit aussi dans une époque où la consommation d’images ne cesse d’évoluer. Désormais, la frontière entre le cinéma et la culture numérique s’efface, permettant aux œuvres sensuelles de retrouver une place de choix dans l’imaginaire collectif, loin des carcans moraux d’antan. Reste à savoir si cette dynamique marquera un tournant durable ou si, comme par le passé, l’érotisme cinématographique connaîtra une nouvelle mise à l’écart.

    Matthieu Matthys
    Matthieu Matthys
    Directeur de publication - responsable cinéma du Suricate Magazine.

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