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Comeback
Réalisateurs : Jan Roosens et Raf Roosens
Genre : Drame
Acteurs et actrices : Veerle Baetens, Billie Vlegels, Gorik van Oudheusden
Nationalité : Belgique, Pays-Bas
Date de sortie : 5 février 2025
Un des principaux reproches que l’on peut faire au monde de l’art, c’est son autocentrisme, le fait qu’il se regarde, souvent trop, souvent jusqu’à oublier qu’il y a une majorité de choses, de gens, de problèmes qui n’en font pas partie. On obtient une image d’un milieu déconnecté du reste de la société, élitiste, hautain. Pourtant, le monde de l’art est surtout celui des discours, des messages, de l’engagement. Alors oui, s’il s’avère qu’il y a une vraie déconnexion avec la réalité, l’œuvre brillera par son risible tout comme ces politiciens voulant encadrer la vie de personne dont ils ne comprennent pas l’existence. Mais s’il y a une réelle documentation, alors l’art devient le plus grand outil pédagogique de l’humanité. Par ces aspects divertissants et esthétiques, il diffuse un message enrobé dans un objet de plaisir. Pour la comédie, on appelle ça castigat ridendo mores, corriger les mœurs en en riant. À l’échelle des dynamiques internationales, on lui donnera plutôt le nom de soft power, la diffusion subtile d’une idéologie.
Quant au fait de se regarder lui-même, il est possible d’y voir la volonté d’un discours presque méta, de changer les choses grâce à une représentation acerbe, une dénonciation. Cependant, il est intéressant de remarquer qu’une bonne partie des films prenant comme arène un univers artistique n’ont pas vraiment vocation à parler de l’univers lui-même. Plus que de danse et de concurrence, Black Swan, met en scène l’emprise et la folie. Même constat pour Whiplash qui, en plus de l’emprise, dénonce une pédagogie toxique, certes présente dans le monde de la musique, mais absolument transposable dans l’univers du sport par exemple. Enfin, symbole s’il en fallait un, Girl n’utilise la danse classique que dans le but de développer un message sur la transidentité et sur l’adolescence. Comeback, l’histoire de cette quadragénaire tentant un retour dans le monde de l’électro après les quelques années qui ont vu sa famille se disloquer, n’échappe pas à la règle.
Avant d’être une chanteuse et dj, Naomi est une mère. D’ailleurs, elle n’est pas à proprement parler la protagoniste du film, puisque l’histoire tourne autour de sa fille, Ava. On choisit son personnage principal en fonction des conflits, celui ou celle qui en a le plus au sein de la trame voit la narration se centrer sur lui, sur elle. Ava est donc la protagoniste naturelle de Comeback, coincée entre une mère in et populaire qui lui fait miroiter le monde de la nuit, de la musique, de l’amusement et un père, rangé à une vie dans l’horeca, à des horaires ingrats et des tâches avilissantes. Cependant, bien souvent, le discours s’établit sur ses personnages satellites, ceux qui gravitent autour du protagoniste, qui font vivre le conflit entre deux mondes, deux visions de l’existence qui s’excluent l’une l’autre. Ainsi, à prendre Ava en étau entre maman et papa, Comeback parle tout bonnement de parentalité.
Dans la société dans laquelle nous vivons, faire des enfants, c’est une norme. Du moins, au moins en faire un. Pour être tout à fait honnête, je ne connais même aucune culture dans laquelle ce n’est pas le cas. Il faudrait plutôt se tourner vers le règne animal pour trouver des formes de société, de vie en groupe, où le fait de procréer n’est pas la norme, comme chez les fourmis ou les abeilles où cette tâche est un boulot à plein temps qui ne concerne qu’un individu sur des milliers. Comme toute norme, elle nous est inculquée, digérée et performée au point que ceux qui ne s’y conforment pas sont vus au mieux comme des originaux, au pire comme des marginaux qui n’ont rien compris à la vie. Pourtant, toute la société a changé. Premièrement, parce qu’il n’en va plus de la survie de l’espèce que de faire des mioches. Ensuite, parce qu’il faut pouvoir élever son enfant, chose plus ou moins aisée suivant son statut socio-économique. On se retrouve alors avec deux critiques principales tournant autour d’un même mot : l’égoïsme.
D’un côté, l’égoïsme de ceux qui, ayant la possibilité, ne font pas d’enfants, gardant tout pour eux, ne se contenant que de leur propre personne. De l’autre, l’égoïsme de ceux faisant des enfants alors qu’ils n’en ont pas les moyens, logistiques ou financiers, ne pensant qu’à leur propre plaisir et condamnant leur progéniture à une bien rude existence. Comeback s’attarde sur ce deuxième aspect. Dominique et Naomi, les parents d’Ava, étaient un couple de dj. Il n’est pas nécessaire d’avoir beaucoup d’imagination pour se rendre compte de la difficulté d’élever convenablement un enfant quand on vit la nuit et sur les routes. Procréer, que ce soit inconsciemment pour entrer dans la norme ou par réel désir de transmission implique des devoirs, dont, premièrement, celui de mettre sa propre existence en second plan. On retrouve ici le conflit qui entoure Ava. D’un côté Naomi qui refuse de laisser sa vie rêvée tomber à l’eau, de l’autre Dominique qui a accepté afin de vivre son véritable rêve, celui d’être père.
Ce qui est surtout réussi dans Comeback c’est qu’il n’y a pas de hiérarchisation entre les choix de vie. Aucune critique n’entoure tel ou tel modèle, ni celle qui consisterait à mettre sur un piédestal la parentalité, ni celle qui voudrait que le but de l’existence soit de vivre son rêve jusqu’au bout. Son discours est simple, limpide, péremptoire, faire des enfants c’est un choix, mais c’est un choix qui, une fois fait, s’accompagne d’obligations, de bien plus de devoirs que de droits.
On peut, ainsi, facilement comprendre le choix de l’arène. En mettant ses personnages dans le monde de la musique, et a fortiori dans celui de l’électro, Jan Roosens accentue les devoirs qui incombent à Dominique et Naomi. Il y a donc en filigrane, aussi, un discours sur le monde de l’art. Une critique de sa précarité, de son instabilité, de la mise en concurrence permanente rendant le fait d’avoir des enfants encore plus complexes. Un monde qui subit les mêmes injonctions normatives que le reste de la société, mais dont le cadre ne permet pas de répondre à toutes les obligations qui les accompagnent. En somme, un film qui questionne subtilement la norme qu’est celle d’avoir des enfants tout en critiquant un monde de l’art qui, bien souvent, contraint ses acteurs à choisir entre leur propre carrière et la possibilité d’élever leur progéniture dans les meilleures conditions.