The Brutalist
Réalisateur : Brady Corbet
Genre : Drame épique
Acteurs et actrices : Adrien Brody, Felicity Jones, Guy Pearce
Nationalité : Grande-Bretagne, USA, Hongrie
Date de sortie : 5 février 2025
Par définition, l’épos est un genre dans lequel l’auteur s’adresse à son public en racontant les exploits d’un héros qui se détache dans une réalité aux traits extraordinaires, s’entrecroisant souvent avec le mythe. Le troisième film de Brady Corbet affiche donc une ambition considérable : celle de s’inscrire dans cette catégorie de longs-métrages qui, en exploitant le drame à grande échelle, ont atteint leur apogée dans les années soixante, à l’époque où l’industrie cinématographique d’Hollywood et Cinecittà produisaient des films à la fois grandioses et historiques, comme Cléopâtre. Pendant une durée aujourd’hui inhabituelle de trois heures et trente-cinq minutes, Brady Corbet propose son drame épique centré sur la figure de László Tóth, un architecte hongrois formé au Bauhaus, et sur sa famille composée de son épouse Erzsébet et de sa nièce Zsófia. Tous trois, rescapés de l’Holocauste, tentent de reconstruire leur vie aux États-Unis sur une période couvrant les années 1947 à 1980.
Organisée en deux parties suivies d’un bref épilogue, l’histoire débute avec l’arrivée de Tóth, survivant de Buchenwald, en Amérique. Après avoir rejoint son cousin Attila, installé depuis des années en Pennsylvanie, le héros découvre que sa femme et sa nièce, ayant survécu aux horreurs de Dachau, sont retenues dans un camp de réfugiés soviétique, rendant leur réunion difficile sur le plan bureaucratique. Tóth commence alors son parcours d’ascension vers le rêve américain, qui adopte dès le début une dimension complexe, comme le suggère le plan renversé de la Statue de la Liberté, annonciateur du ton dramatique du récit. Malgré les obstacles, l’architecte ne renonce pas à sa vocation artistique : la réorganisation d’une bibliothèque, commandée par le fils d’un riche homme d’affaires local, devient le prétexte pour exprimer son talent brutaliste. Séduit par sa vision, le millionnaire Harrison Van Buren lui confie la réalisation d’un imposant projet architectural et le met en contact avec un éminent avocat juif, qui parvient à faire venir Erzsébet et Zsófia dans le Nouveau Monde.
Cette première partie, magnifiquement construite et captivante, est séparée de la seconde par un entracte de quinze minutes et expose déjà les thématiques dominantes du film : l’hypocrisie du Destin manifeste américain fondé sur des idéaux puritains, un multiculturalisme qui, au fond, n’accepte jamais totalement l’Autre, mais surtout le parcours et l’évolution de la figure de l’Artiste, ainsi que la marchandisation d’une culture dont l’expression dépend des volontés de ceux qui détiennent le capital.
Narré en utilisant le format VistaVision, abandonné depuis 1961, le film perd un peu de son intensité dans la deuxième partie, riche en événements et en dialogues significatifs – notamment dans le cas du personnage interprété par Felicity Jones – mais moins apte à approfondir et à connecter les pistes de réflexion si clairement définies dans la première heure et quarante minutes. Les thématiques supplémentaires, comme la dépendance aux opiacés -un phénomène alarmant de l’après-guerre -, les traumatismes liés au conflit mondial, les violences et abus inévitables même dans la Patrie de la Liberté, et l’attrait exercé par le jeune État d’Israël pour une partie de la population peinant à s’intégrer dans le tissu social américain, ne s’intègrent pas toujours organiquement à l’action, qui se conclut par un épilogue philosophiquement stimulant, mais à la fois vague et trop concis.
Le résultat est une œuvre ambitieuse et globalement réussie, capable d’ouvrir plusieurs pistes de réflexion grâce aux provocations visuelles – soutenues par la photographie de Mona Fastvold – et à la linéarité du style naturaliste adopté par le réalisateur. Bien que Corbet ne parvienne pas à maintenir constamment le même élan et n’approfondisse pas pleinement ses réflexions historiques, les interprétations mémorables d’Adrian Brody et de Felicity Jones sauvent leurs personnages du risque de devenir de simples caricatures. Une chose est sûre : The Brutalist prouve que le grand film épique peut encore fonctionner, malgré les réticences des grands studios, de plus en plus absorbés par la production d’innombrables suites, remakes et blockbusters de super-héros.