Titre : Une sortie honorable
Auteur : Eric Vuillard
Maison d’édition : Babel
Date de parution : 02 janvier 2025
Genre du livre : Roman historique
Avec l’Ordre du jour qui l’avait vu récompensé du prestigieux Goncourt, Vuillard a imposé sa signature à l’histoire. Une langue incisive et impitoyable qui condense de grands événements dans des romans courts, dont le dernier sort en format poche.
Ce n’est pas dans l’impressionnante cage d’escalier du Carinhall, résidence officielle du président de la Reichstag, que nous envoie Vuillard mais dans l’étrange uniformité d’une forêt dont chaque arbre se trouve à même distance des autres. Ce matin, deux officiers affrontent le ciel brumeux de l’Indochine pour constater les mauvais traitements infligés par Michelin aux hommes – pour ne pas dire esclaves – qu’ils emploient pour faire couler du bois le latex. Ils sont attachés, battus aliénés…
Et pourtant quand, à l’Assemblée nationale, se réunissent des politiciens dont le nom rime sûrement mieux avec richesse qu’avec dignité, la guerre est considérée comme indispensable. L’attaque du Tonkin par le Viêt-Minh a mis un coup à l’ego de la France, et par la même à l’ego de ce conglomérat de fortunes qui, grâce au prestige de leur lignée, sont les mieux placés pour guider le monde dans le droit chemin. Mais la France s’enlise. Les ambitions sont revues à la baisse. Finalement, une sortie honorable fera l’affaire. La guerre, si importante à la civilisation, se transforme alors en bouffonnerie dont les aberrations stratégiques de de Lattre et de Navarre sont le clou du spectacle.
Rares sont les auteurs qui maîtrisent autant l’art de la précision. Vuillard élague cette guerre qui durera près de dix ans pour n’en garder que 200 pages manuscrites. Rien ne peut dépasser. Le lecteur ne doit pas être parasité par des informations qui ne lui seraient pas nécessaires. N’oublions pas que ce qui n’est pas écrit, peut-être suggéré. Et malgré son travail de concision qui, dans d’autres cas, aurait pu rendre une histoire très franco-française difficile d’accès aux non-initiés, le contexte est limpide. Il n’est pas nécessaire de connaître tous les rouages de la colonisation de l’Indochine pour en comprendre les rapports de domination. Évidemment, c’est une porte d’entrée – qui n’est pas sans parti-pris – et non une visite détaillée des coulisses du traumatisme. Mais dès lors qu’il est question de résumer, il y a une sélection, et donc subjectivité.
Le second atout de l’auteur dont il use sans parcimonie, c’est son ton sarcastique. Il moque sans vergogne ceux qui ont eu la prétention de vouloir faire de l’histoire un jeu de pouvoir. Et comme toujours, il n’épargne surtout pas les magnats qui ont amassé sur l’horreur leur fortune. Une sortie honorable ne déroge pas à la règle ; on peut aller les yeux fermés dans les terrains minés où nous entraîne Vuillard.