Titre : Le Tchekiste
Auteur : Vladimir Zazoubrine
Maison d’édition : Christian Bourgois
Date de parution : 09 janvier 2025
Genre du livre : Roman historique
Presque 100 ans après l’achèvement de son écriture, et seulement 35 ans après sa première publication en russe, Le Tchekiste de Zazoubrine est compacté dans un format poche, postfacé par Dimitri Savitski.
C’est dans l’odeur viciée d’une cave carrelée, où les ampoules émergent de l’obscurité comme des furoncles, que les condamnés rendent leur dernier souffle. Sroubov les exécute sans passion, mais sans haine non plus. Simplement parce que c’est ce qu’on attend de lui. Le Tchekiste a pour mission de protéger le régime bolchevique en évaluant d’abord la menace à coup d’interrogatoires et de procès sommaires et en l’éradiquant ensuite. Le bourreau n’est pas un homme, c’est une fonction. Une tâche qui doit être exercée sans sentiments. Un rouage nécessaire à la grande machine idéologique. Et cette automatisation de la mort, Zazoubrine l’investit jusque dans son écriture. La distance avec laquelle il aborde le sujet le rapproche de Kafka, mais aussi selon Savitski de Hemimgway et de Dos Passos.
Zazoubrine compare, non sans détachement donc, les yeux révulsés d’un pope aux fruits secs du craquelin qui explosent dans le four, quelques pages avant de décrire comment l’homme en soutane a fini en chair à canon. Les condamnés sont des bêtes dont l’abatage est utile pour la société. Libres, ils sont les ennemis de l’État. Mais une fois attrapés, ils deviennent des animaux qu’on doit traiter avec la déférence que méritent des êtres qui se sacrifient pour la vitalité de l’espèce humaine. Le crime et l’exécution sont des choses bien différentes. Tout ça fait froid dans le dos. La définition terrible que fait Sroubov de son métier donne d’ailleurs lieu à l’un des passages anticipatifs les plus glaçants de l’histoire de la littérature.
Zazoubrine fut l’un des auteurs phares de la révolution d’octobre, adulé par le régime. Mais dans Le Tchekiste, l’auteur ne peut cacher son aversion pour la mort. La loyauté envers « Elle », c’est-à-dire la révolution, légitime le crime. Mais pas assez. L’image qu’il donne de « l’assainissement » de la société se transforme en boucherie. Le parti qui l’a jusqu’à alors accompagné dans son travail, voit d’un très mauvais œil les descriptions sanguinolentes qui tachent sa réputation. Le livre est interdit. Dans les paroles de Sroubov qui accuse la révolution de ne pas faire de cadeau, même à ses initiés, on peut presque entendre Zazoubrine qui anticipe sa propre exclusion. Zazoubrine, qui fut l’un des écrivains préférés de Staline, sera d’ailleurs fusillé lors de l’épisode des grandes purges. Et même si son auteur ne vivra pas assez longtemps pour le voir publié, Le Tchekiste nous parvient aujourd’hui comme le témoin de toute l’horreur dont une idéologie peut se rendre coupable. Et en tant que tel, il est indispensable.