Scénario : Melody
Dessin : Melody
Éditeur : Dargaud
Sortie : 17 janvier 2025
Genre : Fantasy/fable écologique
Durant la guerre civile russe, Yuri — un cosaque, partisan des anarchistes, à la vitalité débordante — est conduit à revoir Nikita — un bolchevique émacié, craint pour sa cruauté — avec lequel, au nom des alliances entre leurs factions, de l’idéal d’égalité qu’ils partagent et de leur amitié de jadis, voire de leur fraternité qui trouve ses racines dans leur enfance commune, il va passer un accord : Yuri s’engage à assassiner le dernier héritier du Tsar pour anéantir la possibilité d’un retour en force de l’aristocratie russe, qui pourrait compromettre, à terme, la victoire des révolutionnaires.
L’épopée bédéesque de Melody, sur fond d’un épisode marquant de l’histoire russe au XXe siècle, nous relate une aventure humaine intégrale, qui fait douloureusement écho à notre actualité. La richesse de cette bande dessinée — outre le dessin, à la manière d’un film d’animation, qui nous a conquis, et les couleurs qui approfondissent notre immersion dans ces terres froides et dans l’Armageddon qui s’avance — réside dans le traitement de ses thèmes, dans l’intelligence qui s’y déploie et qui ne peut que ravir les lecteurs.
Les incursions de la mythologie et des contes slaves dans un récit où les hommes, en raison de leur vision du monde, ont cherché à s’émanciper des dieux au risque de se substituer à eux, sont ambivalentes : si les dieux viennent contester à l’homme cette toute-puissance qu’il cherche à mettre à sa portée grâce à la technique, ou plutôt l’appellent à la responsabilité vis-à-vis du monde, certaines créatures, comme la Baba Yaga, peuvent également catalyser ses passions destructrices.
Quand un homme médiocre, à l’instar de Nikita, dont les idées peuvent rappeler, par moments, celles de Netchaïev, le nihiliste qui aimait à dire que n’est pas révolutionnaire qui a pitié de quelque chose dans le monde, cherche, en aspirant à la divinité et comme ennemi du genre humain, à annihiler celui-ci — le genre humain — par l’entremise des connaissances occultes d’une sorcière saturée de ressentiment vis-à-vis des dieux, il incombe à l’humanité de faire barrage à cet hubris, dont il ne peut résulter que des tragédies. C’est cela, le rêve du dieu Tchernobog : l’appel à la responsabilité, l’appel à faire face aux périls qui menacent le monde plutôt qu’à les fuir par lâcheté.
Melody, dans cette aventure de plus de trois-cents pages, nous émeut par le truchement de ses personnages consistants, auxquels on s’attache et pour lesquels, parfois, on se permet de nourrir quelque espoir. Ce voyage de Yuri, Nadya Romanov et Platon, parmi les panoramas enchantés, peu à peu rendus à la désolation rougeâtre par le golem, nous fait songer à la grande marche de la catastrophe écologique qui suit son cours, tandis que nous poursuivons la nôtre en détournant le regard. Nous sommes misérables, comme le dit si bien le dieu Tchernobog, mais capables d’œuvrer, dans un esprit de sacrifice, pour l’amour, et n’est-ce pas là le seul espoir qui nous reste ?