De Dennis Kelly
Mise en scène Emilienne Flagothier
Avec Lesca Herfeld, Pénélope Guimas, Pauline Victoria, Castélie Yalombo
Du 9 janvier au 18 février 2025
Au Théâtre National
Tout comme la fureur, la rage se distingue de la colère ou de la haine par son aspect momentané. On peut être énervé contre quelqu’un, contre une situation, contre une classe politique, et ce, de manière assez constante, mais enragé, non. La rage se déclenche en réaction à des mots, des décisions, des comportements et s’éteint peu de temps après. Peu de temps après que la personne enragée ait assouvi sa rage, via, elle aussi, des mots et des comportements.
Ainsi, la rage c’est la violence en réponse à la violence. Mais là où le vigilantisme a pour but la Justice à l’échelle globale, la rage pas forcément. Elle est simplement la conséquence d’une situation insupportable, qui, souvent, s’est répétée un nombre incalculable de fois. Soudain, la fureur sourde, la cocotte-minute explose et l’irrémédiable est commis.
Ce sont ces instants que nous propose d’explorer Rage, ces moments de bascule où ce qui a été toléré jusqu’alors ne l’est plus. Le schéma est toujours le même, l’exaspération de personnages féminins face à des comportements masculins. Souvent misogyne, parfois violente, toujours dégradante, l’oppression subie par les femmes est une réalité qui ne puise aucunement ses sources dans des vérités biologiques, mais dans ce désir de domination, dans cette hiérarchisation des identités qu’on appelle racisme, homophobie, sexisme, etc.
Rage c’est le constat d’un ras-le-bol collectif, presque un warning qui dirait « regardez ce qui va se passer si vous continuez ». Alors oui, les contextes représentés sont plus ou moins légitimes à l’enragement, mais c’est aussi le but : montrer que tout cela n’est pour l’instant que fantasmes et extrapolations. C’est d’ailleurs de là que nait le ton humoristique de Rage qui vient autant du côté réel et vécu des situations présentées (drague lourde, mansplaining, sexisme ordinaire) que de la disproportion de la réponse apportée. Et c’est ici que se trouve le tour de force de la pièce, bien que le message soit clair et très sérieux, bien qu’on ne puisse pas remettre en question l’existence de cette colère risquant de se muer en rage, on sort de la salle en ayant ri, et pas qu’un peu, et de fort bonne humeur.
Alors oui, on sort de bonne humeur parce qu’on voit quelques injustices réparées, mais pas que. On sort de bonne humeur aussi parce que ces quatre actrices sont drôles et justes dans leur alternance entre personnages archétypaux et plus profonds, parce que toutes ces situations décrites sont risibles, mais qu’on les a quand même entendues, vécues, voire faite vivre à quelqu’un d’autre. Rage c’est un message dur et péremptoire enrobé dans un ton comique, une pièce qui incite à ce que les choses changent si l’on ne veut pas que ce qui est drôle dans cette fiction devienne effrayant dans la réalité.