Ecriture et mise en scène de Salvatore Calcagno, avec Emilie Flamant, Chloé De Grom, Lucie Guien, Jean-Baptiste Polge et Coline Wauters
Du 16 au 20 décembre 2014 à 20h30 au Théâtre Les Tanneurs
Diplômé de l’INSAS, Salvatore Calcagno a vingt-trois ans. La vecchia vacca, créée en 2013, est son premier spectacle. Avec très peu de texte et beaucoup de bruit, il y évoque la figure de la mère italienne, dépeinte à travers son rôle nourricier, son dévouement démesuré au fils chéri et son exubérance écrasante. Sans trame narrative véritable, la création à mi-chemin entre la performance et le théâtre fait se succéder des passages chantés ou musicaux, des petites scènes de monologues ou de défoulement verbal en groupe et des esquisses chorégraphiques qui tournent autour des scènes de la vie maternelle (préparation du goûter, lamentations partagées sur l’ingratitude des fils) et sont traitées sur un mode souvent proche de l’hystérie.
Il n’est plus à démontrer que la mère – a fortiori méditerranéenne – est une source inépuisable d’où peut naître une éclatante parole de fils et de filles. Et Salvatore Calcagno tend de toute évidence à inscrire la sienne dans la tradition des grandes mères et femmes à l’amour vorace et encombrant, qui fécondent l’imaginaire méditerranéen, d’Albert Cohen à Fellini et Pasolini, et dont on ne se défait jamais. Le jeune auteur et metteur en scène a rempli l’espace de symboles : le sein maternel comme métonymie du pouvoir et de l’aliénation des mères, le lait comme flux vital, la semi-nudité du jeune homme comme image de l’enfant à la fois vulnérable et sujet de désir. Par ailleurs, Salvatore Calcagno a incontestablement bien regardé ce qui se fait dans le théâtre contemporain, et c’est là le principal problème du spectacle. On a, en effet, la désagréable impression de retrouver dans La vecchia vacca une agrégation de formules vues ailleurs : la lenteur des mouvements ou la cacophonie sans queue ni tête d’échanges qui tournent à vide, la nudité, le mélange des genres musicaux tendance kitsch, les extraits empruntés à d’autre débités sur un ton monocorde ou très affecté… Salvatore Calcagno l’a bien compris : le théâtre aujourd’hui est une affaire de distanciation, de dérision et de rapports indirects.
Et c’est triste : triste qu’à son âge, Salvatore Calcagno se cache tant, ait si bien pris la pose, pour surtout ne rien risquer, ne rien dévoiler, ne rien faire dépasser du cadre formaté des postures actuelles les plus prétentieuses. Derrière l’apparente liberté de ton et le côté foutraque de l’ensemble, on se demande si Salvatore Calcagno ne cherche pas plutôt à gagner du temps et à masquer la minceur du propos. Car il ne suffit pas, à en effet, de faire hurler des actrices en italien pour teinter l’atmosphère d’une vigueur fellinienne ; il ne suffit pas non plus d’entrechoquer leurs paroles de manière incompréhensible pour donner de la vitalité, de l’énergie et de la vie aux échanges. De fait, c’est bien la vie qui manque, la vie véritable et sensible d’une relation, d’un manque ou d’une mémoire, d’une obsession. On peut tout pardonner à un auteur de vingt-trois ans : les excès, le trop-plein, les maladresses. On peut tout pardonner, si son avidité de donner quelque chose nous bouleverse. Ici, hélas, on a la sensation de n’avoir rencontré ni une voix, ni un regard. C’est sur la poésie d’un autre, en revanche, qu’on a très envie de se jeter à la fin du spectacle : celle de Pasolini, dont le spectacle livre quelques vibrants extraits. « Tu es la seule au monde à savoir, de mon cœur, ce qu’il a toujours été, avant tout autre amour. » : plus de mère en une phrase qu’en une heure quinze de Vecchia Vacca.
Emilie Garcia Guillen