Titre : Bruno et Jean
Autrice : Pauline Valade
Edition : Actes Sud
Date de parution : 2 octobre 2024
Genre du livre : Roman d’histoire
L’idée de départ de ce roman a été pour son autrice, Pauline Valade, d’écrire l’histoire de deux personnes ayant existé : Bruno Lenoir et Jean Diot. Le 6 juillet 1750, ils ont été condamnés au bûcher à Paris. Leur tort : s’être aimés. A l’époque, être homosexuel vous valait une place sur la scène de ces ignobles spectacles auxquels on assistait en famille avec ses gamins perchés sur les épaules.
Les deux hommes auraient été les derniers Français à être exécutés du fait de leur homosexualité. Le temps de cette lecture, on suit le quotidien de Bruno, un apprenti cordonnier de 22 ans, qui vit dans un quartier populaire de Paris avec son amie Rosine, une jeune blanchisseuse. Malgré leur pauvreté, les deux compères profitent de leur jeunesse, s’amusent et refont le monde dans les cafés bondés et bruyants de la capitale. Le tout sur fond de grogne populaire envers Louis XV, dont les campagnes contre le roi de Prusse ont fait trop de morts et laissent la population criblée d’impôts.
Lors d’une virée dans ce qu’on qualifierait aujourd’hui de quartier gay, Bruno rencontre Jean. Entre eux, Pauline Valade imagine un amour vrai, mais en toute discrétion, sous peine d’être accusés de ce qu’on appelle à l’époque, le « crime de sodomie ». Les deux amants sont entourés et protégés par leurs amis dans un Paris rude : l’aimante et courageuse Rosine, Demi-Lune, un gamin orphelin très malin et Paulin, un ami poète.
Au delà de l’histoire, il est agréable de lire une autrice qui sait de quoi elle parle. Cette historienne spécialiste du XVIIIè siècle utilise certains mots de vocabulaire de cette période – vous enrichirez ainsi l’étendue de votre champ lexical qui a rapport au pénis par exemple! Elle nous dévoile également certains us et coutumes de l’époque comme cette très étonnante loi qui consistait à rémunérer celui qui ramenait le cadavre d’un noyé à la police… ce qui avait pour malheureuse conséquence qu’on ne portait plus secours aux gens se débattant dans l’eau, juste pour pouvoir toucher les pépètes.
L’autrice parvient également à nous catapulter au cœur des rues poisseuses et cracra de Paris : ça pue, ça sue, ça chie dans les rues, les enfants font le tapin entre un pot de chambre qui valse et les poules qui picorent (on espère pas le contenu dudit pot!) sous les pendus qui valsent au bout de leur corde.
Il était judicieux d’opter pour la fiction afin de raconter l’histoire des deux hommes, car si l’on ne se fie qu’à ce qui est consigné dans les archives, on n’y trouve que la raison pour laquelle ils ont été arrêtés et condamnés. C’est sans doute pour cela que l’autrice a tenu à leur rendre la parole et l’humanité que les lois de l’époque ont anéanties.
Bref, une lecture intelligente et instructive à bien des niveaux. Mais aussi un texte qui combat l’intolérance toujours tenace de nos jours : une plaque commémorative dédiée à Bruno et Jean, posée à Paris en 2014, a été vandalisée à plusieurs reprises. Il y a encore du chemin à faire… et des auteurs engagés à soutenir.