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    L’Abattoir de verre : pour une révolution empathique

    Qui n’a jamais ressenti la honte d’être un Homme ? Une honte proportionnelle à l’inhumanité dont l’espèce humaine fait preuve envers elle-même et envers les animaux non-humains. L’Abattoir de verre confronte le spectateur à un constat terrible, mais esquisse une voie empathique pour transformer l’état des choses. 

    Jouer le rôle escompté par les autres, souscrire aux discours de circonstance, conserver le statu quo : Elizabeth Costello s’y refuse. Elle a eu le printemps et l’été de sa vie pour explorer les déclinaisons du déni – le sien et celui des autres. Parvenue à l’automne, Elizabeth mue : d’artiste célébrée, elle devient une artiviste controversée ; la littérature ne lui suffit plus : il lui faut, surtout, agir pour le bien. Le bien qu’elle veut faire est celui des animaux, en ce compris les humains, desquels elle espère une révolution empathique. En tant que « secrétaire de l’invisible », Elizabeth n’entend pas prescrire des principes d’action : elle recueille, empathiquement, les cris déchirants des animaux pour s’en faire la porte-parole ; elle devient ces animaux agonisants face à un public médusé et à ses proches accablés. Elizabeth Costello rêve d’un abattoir de verre, pour que les humains ne puissent plus échapper à la vue du sang et cessent de trouver refuge dans une culture du déni. « On se soucie peu que l’avenir ait la fièvre » (Auguste Blanqui). Cette fièvre, Elizabeth en est déjà atteinte et elle est prête à en mourir pour que l’avenir n’ait pas à en souffrir. 

    Ce spectacle engagé, librement adapté de plusieurs textes de John Maxwell Coetzee, invite le spectateur à se positionner face à une confrontation de perspectives antagonistes sur la condition animale et l’engagement politique – souventefois dénigré – qui s’y rattache. Entre Elizabeth, interprétée par la bouleversante Magali Pinglaut, et sa belle-fille, une pseudo-cartésienne incarnée par Aline Mahaux, qui considère qu’Elizabeth, en refusant de se ranger sous la bannière de la raison, est devenue folle, le spectateur est invité à prendre parti. Cependant, il peut aussi, dépassé par ces discours parfois oiseux, se laisser porter par le trouble, comme le fils d’Elizabeth – interprété par Audric Chapus –  qui reste, malgré tout, fidèle à sa mère par piété filiale. 

    Dans ce spectacle, les animaux non-humains apparaissent tels des spectres : ils hantent le langage en tant que métaphores, occupent la scène par leurs apparitions sporadiques sur l’écran et par la sculpture représentant Rotpeter – le singe humanoïde d’une nouvelle de Franz Kafka. Ils hantent aussi Elizabeth, ainsi que sa petite-fille, métamorphosée en bovidé, et, potentiellement, chaque spectateur, pour peu qu’il ose dresser un pont vers les animaux non-humains, pour peu qu’il apprenne à dire « je » à la place de n’importe quelle bête.  

    L’Abattoir de verre est dédié à une truie photographiée dans un abattoir au Danemark. « Je suis cette truie que l’on tue » : c’est ce type de déclaration que ce spectacle nous incite à faire. En cherchant à éprouver, de façon empathique, l’intolérable violence subie par les animaux dans les abattoirs, nous en viendrons peut-être par les reconnaître enfin comme des membres de la famille des vivants. 

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    D’après John Maxwell CoetzeeAdapté par Valérie Battaglia et Jean-Baptiste DelcourtMise en scène de Jean-Baptiste DelcourtAvec Magali Pinglaut, Audric Chapus, Alice Borgers, Jimony Ekila, Aline Mahaux, Julie Delbart & (en alternance) Romane Verplancken et Lucya Soblinskaite Ba. Du 05 novembre au 17 novembre 2024Au Théâtre des...L’Abattoir de verre : pour une révolution empathique