Auteur : Michael McDowell
Edition : Monsieur Toussaint Louverture
Genre du livre : Roman
Après l’incontestable succès de Blackwater en 2022, Monsieur Toussaint Louverture a ouvert une collection au nom de l’auteur, ponctuellement nourrie par des rééditions de ses œuvres. Lune froide sur Babylon est la dernière hideur repêchée par l’éditeur dans les eaux poisseuses de la Perdido.
Les lecteurs de Michael McDowell seront ravis d’apprendre qu’avec Lune froide sur Babylon, ils naviguent en eaux connues. Le cours vaseux de la Perdido, et son calme mystérieux, qui abreuvait l’imagination de Michael enfant lui sert, en effet, à nouveau, de décor. Mais cette fois, l’écrivain à qui l’on doit notamment le scénario de Beetlejuice, s’y mouille un peu plus. Il se jette à l’eau dans l’horreur, alors qu’avec Blackwater il trempait plutôt l’orteil, en comparaison. Il faut dire qu’on trouve de tout sous la surface des eaux dormantes. Y compris le corps lourd des parents Larkin, tués par la découverte d’un sac en toile de jute navigant de manière étrangement onduleuse. Indubitablement, il y a quelque chose qui grouille à l’intérieur. Les crotales libérés sur le plancher de la barque sont enragés par une captivité flottante. Il est déjà trop tard. Les deux corps ne seront jamais retrouvés.
Élevés par leur grand-mère Evelyn, les enfants du couple, Margaret et Jerry, ont gardé de leurs parents la frustration d’un deuil sans cadavres et des dettes difficiles à honorer. Le marché de la myrtille, qui faisait autrefois bouillir la marmite, est ingrat. D’autant que les sols paraissent chaque année un peu plus fatigués. L’infertilité de la terre inquiète Jerry qui a grandit et qui est désormais le gérant de l’entreprise familiale. Et il n’est pas au bout de ses peines. Quand sa sœur Margaret disparaît par une nuit d’orage, le déluge emporte aussi bien la récolte que les derniers moments approximativement heureux du clan Larkin. Mais les crimes qui couvrent le lit de la rivière ne peuvent, à jamais, rester impunis. Il vient un moment où les flots recrachent ce qui n’aurait jamais dû y sombrer. Commence alors la vengeance tranquille de fantômes en putréfaction, la tête arrachée, se glissant de manière chaloupée dans les interstices des maisons et laissant dans leur sillage les traces d’un liquide sombre et épais. Et en même temps, comment un village appelé Babylon, au croisement du Styx et de la Perdido, aurait-il put être autre chose qu’un lieu d’errance infernale ?
McDowell fait partie de ces auteurs qui se sont construit une mythologie à partir des lieux de leur enfance. À cheval entre l’Alabama et la Floride, les paysages marécageux du comté d’Escambia et l’or noir qui coule dans ses terres hantent mystérieusement les paperbacks de McDowell, originellement publiés de manière épisodique dans les journaux. L’écriture est légère, flottante. Son flux rapide nous emporte rapidement dans les abysses de l’horreur. Si Lune froide sur Babylon est anormalement plus sombre, il n’en reste pas moins transporté par ce même magnétisme fantastique qui a fait le succès de son auteur. Mais si dans Blackwater, l’imagination de l’auteur n’avait de limites que celles qu’elle s’était fixées, elle est, ici, explicable, par la psychologie des personnages. C’est un livre plus terre-à-terre, malgré sa liquidité. McDowell accouche d’une créature littéraire mouillée qui commence comme un roman policier et se termine en un conte shakespearien.