Brave Citizen
Réalisateur : Park Jin-Pyo
Genre : Comédie, Action, Drame
Acteurs et actrices :Shin Hye-sun, Lee Tae Gyun, Cha Woo-min
Nationalité : Corée du Sud
Présenté dans le cadre du KFF 2024
Si on peut reprocher à certains films de n’être que de purs divertissements ne racontant rien de nouveau, rien de fondamentalement intéressant et qu’on oubliera très vite tant on n’en a rien retiré, ils ont au moins le mérite de ne pas faire pire que mieux, étant donné qu’ils ne font pas. Car le problème lorsque l’on veut faire, lorsque l’on veut dire quelque chose, lorsqu’on veut prendre la parole sur un sujet, c’est qu’il y a le risque de se rater. Brave Citizen se rate. Brave Citizen fait pire que mieux. Brave Citizen, c’est cet ami qui nous fait tant de mal qu’on n’a pas besoin d’avoir d’ennemis. Parce que sur le papier, le film donne envie. Premièrement par son thème central : le harcèlement scolaire. Le harcèlement a toujours existé, et sans doute, malheureusement, existera-t-il toujours, mais l’émergence des réseaux sociaux ces dix dernières années le rend continu. Il n’y a plus de privé, plus d’intime, lorsque l’école est finie, le harcèlement se poursuit à la maison et l’ordinateur, le téléphone, la tablette deviennent les nouvelles cours de récréation dans lesquels l’enfer ne cesse d’exister. Ensuite, ce fameux Brave Citizen éponyme, c’est le sujet du vigilantisme que l’on met sur la table. Et le vigilantisme c’est avoir un discours sur les défaillances du système, car les entités sensées maintenir la sécurité ne répondent plus aux besoins de citoyens obligés de se faire justice eux-mêmes.
D’un point de vue narratif pur, le film n’est pas bon. Du moins, il est extrêmement grossier. À l’image de mauvais shōnen, la dynamique des personnages se résume à un duel du bien contre le mal. Un manichéisme absolu que même le cinéma hollywoodien n’ose plus. D’un côté, une jeune professeur remplaçante, ancienne boxeuse professionnelle rêvant d’avoir un poste fixe, mais emprunte de valeurs et d’idéaux et détestant l’injustice. De l’autre, un étudiant psychopathe tyrannisant lycéens et professeurs et ne prenant son plaisir qu’en faisant jaillir la peur et le sang. Aucune nuance. Rien. Du début à la quasi dernière minute, les gentils sont gentils et les méchants sont méchants. En réalité, rien ne tient la route. De l’emprise que le jeune homme a sur tout le corps enseignant au duel final (« un combat à mort ») qui se fait dans l’enceinte de l’école, en passant par les skills de combattant jamais expliqués du « harceleur », rien n’est crédible. Mais, en soi, ce cinéma-spectacle n’est pas dérangeant. Le pur divertissement existe, il plait, il peut même être vu comme un exutoire bénéfique.
Problème : cet est over the top, ce too much dévalorise ce dont le film doit parler. Le harcèlement montré n’est pas du harcèlement. Ce sont des agressions voire des tentatives de meurtre. Non, mettre un sac sur la tête de quelqu’un et le frapper au visage et au ventre ce n’est pas harceler. Le harcèlement est violent, mais par le côté répétitif de micro-agressions. Par essence, le harcèlement n’est pas cinématographique puisqu’il n’est pas spectaculaire et qu’il a besoin de s’installer petit à petit, de se répéter. Bien souvent, dès que le cinéma s’empare du sujet, il en montre une version clichée, grossière. Ici, c’est pire, Citizen Brave offre une vision illusoire du harcèlement, il dit ceci : le harcèlement c’est lorsqu’un psychopathe tente de tuer tous les jours une autre personne. Comment s’insurger ensuite face à du véritable harcèlement tant la gravité des évènements (pris indépendamment les uns des autres) est moindre ? Ainsi, en nous montrant un harcèlement irréel, le film dévalue tous les harcèlements du monde et discrédite tous les harcelés de la Terre.
Mais ce n’est pas tout. Puisque le harceleur est riche, que le harcelé est pauvre, le film semble parler de lutte des classes. J’utilise le terme « semble » parce qu’il n’en est pas vraiment le cas. Encore une fois, la faute en revient à la construction des personnages. Oui le « méchant » est fils de riche, fis de puissant, mais il est surtout atteint de psychopathie, ou quelque chose du genre. La violence qu’il exerce est donc plus liée à son absence d’empathie, à son plaisir de faire mal qu’à sa position de dominance. Comme il en est pour le harcèlement, les violences systémiques et structurelles ne sont pas spectaculaires, peu cinématographiques. À l’inverse, la lutte contre une oppression elle l’est, mais ce n’est pas le cas ici puisque la réponse à ces violences des riches envers les pauvres est le vigilantisme d’une tierce personne, d’un intermédiaire qui ne fait pas partie des oppressés. S’il n’y a pas de lutte des oppressés contre les oppresseurs alors, il n’y a pas de lutte des classes. Si les violences sont perpétrées par un fou avant qu’elles le soient par un riche alors, il n’y a pas de discours sur celles-ci. Le tout donne donc l’impression qu’une fois le grand méchant évincé, il n’y aura plus de problèmes, plus d’injustices dans ce lycée. Les gentils riches ne feront plus partie d’un système de violences structurelles, le harcèlement n’existera plus puisque personne n’essaiera de tuer qui que ce soit. En somme, on peut vouloir faire le bien et finalement faire le mal et les intentions ne font pas tout. Parfois, il faut réfléchir sans parler, plutôt que parler sans réfléchir.