Sorti dans les salles le 26 novembre, le deuxième long-métrage de David Lambert, Je suis à toi, nous emmène dans un voyage au cœur même des sentiments. Rencontre avec le réalisateur et l’un des personnages principaux, Jean-Michel Balthazar (Henri).
______
Quelles sont les origines de Je suis à toi ? D’où est venue l’idée d’un tel scénario ?
David Lambert : Ce film est un peu lié à ma vie. J’ai fréquenté beaucoup de prostitués masculins et féminins dans le temps. J’ai un peu conçu Je suis à toi en contradiction avec d’autres films qui traitent de personnages prostitués et que je ne trouve pas justes. Les films et les médias en général font toujours passer ces personnes et leurs clients pour des criminels. Je voulais essayer de créer deux personnages très atypiques où cette problématique de sexualité liée à l’argent et à l’économie était traitée sans culpabilité et sans criminalisation. Ça faisait vraiment partie des premières intentions.
Je voulais aussi raconter l’histoire d’une autonomie. Je trouvais cela intéressant d’avoir un personnage totalement dépendant de tout, qui se définissait et était vu par la société comme une « bite sur pattes ». Un personnage centré sur sa sexualité, qui peu à peu fait une démarche vers l’autonomie et devient un visage, un cœur, quelqu’un qui a ses propres émotions. J’ai donc beaucoup travaillé la question de la réappropriation pour les trois personnages mais surtout pour Lucas qui arrive à se retrouver sa vie affective, sa sexualité et à reposer des actes en tant qu’homme et plus en tant qu’objet du désir d’autrui.
Donc, c’est avant tout un film qui parle d’amour…
D.L. : C’est un film sur l’amour conditionnel, fantasmé. C’est aussi un film d’amour circonstanciel. Ces êtres n’arrivent pas à s’aimer gratuitement, en tout cas au début. Ils sont tous à la recherche de l’amour mais n’arrivent pas à le trouver sans qu’il y ait de contrepartie, d’enjeux. Mais l’amour c’est ça, on a toujours envie d’aimer et d’être aimé sans qu’il n’y ait rien d’autre, qu’il y ait un absolu, que tout soit en fusion mais en fait, c’est quelque chose qu’on atteint jamais ou qu’on atteint qu’à un moment particulier puis ça retombe.
On vit dans le monde dans lequel on vit, on ne peut pas être sur une île déserte en fusion tout le temps, ce n’est pas possible. Donc, on est dans des compromis, à négocier des choses et Je suis à toi parle de ce type de négociations.
Le choix des acteurs s’est-il fait naturellement ?
D.L. : J’ai déjà eu l’occasion de travailler avec Jean-Michel par le passé et le rôle d’Henri était écrit pour lui. J’ai découvert Nahuel dans Au fond des bois de Benoit Jacquot. Il a toujours eu quelque chose de très félin. Quant à Monia, je l’ai rencontrée quand elle travaillait sur un spectacle. Le courant est vite passé et on a reconstruit le personnage autour d’elle. Le film est très remodelé en fonction de la personnalité de chaque acteur.
Jean-Michel Balthazar, quelle a été votre réaction quand vous avez pris connaissance du script ?
Jean-Michel Balthazar : Comme David l’a dit, nous nous connaissions déjà avant la réalisation de Je suis à toi. Nous nous sommes rencontrés en 2001 quand je jouais dans la pièce Faust de Marlowe au théâtre. En 2009, j’ai eu le plaisir de jouer dans son court-métrage Vivre encore un peu et un beau jour, alors que j’étais dans mon jardin, il m’a téléphoné pour me proposer le rôle d’Henri. Au début, je pensais l’intéresser pour un rôle de taximan puis quand j’ai lu le scénario, ça m’a plu, je le sentais bien.
Je sais que je peux avoir confiance en David car c’est une personne très intelligente, qui écrit non seulement des films dans lesquels il veut défendre des choses mais également dans lesquels il y a une belle histoire et c’est l’essentiel. Dans Je suis à toi, il y a une espèce de trio amoureux donc c’est encore mieux. Ça nous fait trois belles histoires à raconter.
Comment réagissez-vous aux critiques selon lesquelles certaines scènes, jugées trop osées, devraient être censurées ?
D.L. : Il y a une tendance maintenant à censurer mais de manière très perverse sans dire qu’on censure. « Si tu montres un plan de sexualité où il y a un sexe masculin en érection, tu vas réduire ton public et le film ne sera pas un succès donc conclusion, tu ferais mieux de censurer ». C’est ce qui court dans le discours commun et je trouve que c’est d’une stupidité confondante. Je reste encore outré par le fait qu’on puisse encore se dire, en 2014, que le spectateur sera choqué par la vue d’un sexe masculin alors que plus personne n’est choqué par les actes de violence insensés que l’on retrouve dans beaucoup d’autres films. Faire une analogie entre le succès et l’insuccès d’un film et les faits explicites ou pas me semble très pervers. C’est quelque chose que je condamne et que je trouve très vieux jeu.
J-M. B. : Dernièrement, je suis allé à un festival où j’ai eu l’occasion de voir plusieurs films dont une comédie accessible à tous comportant sept scènes de sexe. Personne en sortant, et après avoir bien ri de cette comédie, ne s’est dit « Ohlala mais il y a eu sept scènes de sexe !». D’accord, elles n’étaient pas très osées mais elles existaient. Il n’y en a pas autant dans Je suis à toi. Je pense que ce qui a choqué particulièrement, c’est le sexe d’homme en érection. C’est bizarre parce que dans les années 70 , ce genre de scènes passait comme une lettre à la poste. On ne se retournait pas là-dessus. Aujourd’hui, on a l’impression qu’il y a une sorte de recul. Il y a quelques semaines, par exemple, Sarkozy a remis en cause le mariage pour tous. C’est effrayant.
Des projets pour la suite ?
D.L. : Moi, je suis en train de travailler sur un troisième film. En fait, je développe deux films en même temps. Tout n’est pas encore signé et finalisé mais c’est en cours d’élaboration.
J-M. B. : Comme comédien belge, je jongle entre théâtre et cinéma. Pour le moment, je joue dans Casanova, une pièce écrite par Serge De Poucques, au théâtre Le Public. Puis, je pars en tournée en France pour jouer dans une pièce de Schiller qui s’appelle Intrigue et Amour. Entre-temps, d’autres films vont sortir. C’est une année très riche pour moi par rapport au cinéma car il y a eu Je suis à toi mais également le film d’horreur Welp de Govaerts qui est sorti à Bruxelles mais malheureusement pas en Wallonie. Et enfin, il y a le film pour enfants qui s’appelle Les Taxis Rouges. J’aimerais que chaque année se déroule comme ça.
Propos recueillis par Aurélie Parisi