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    4211 km, une déclaration d’amour aux déracinés

    Il est rare de vivre des moments où le temps paraît se figer. Lors de la première de 4211 km au théâtre de Poche, nous sommes entrés dans la salle en tant qu’individus et nous en sommes sortis comme un collectif. Nous avons été les spectateurs chanceux d’un moment d’humanité authentique, un souvenir impérissable gravé dans nos mémoires.

    Parfois, il faut accepter que les mots soient insuffisants. Comment décrire un séisme émotionnel, une catastrophe dans l’esprit, une inondation dans un cœur ? La tâche paraît presque insurmontable, mais pour Aïla Navidi, l’autrice et metteuse en scène de la pièce, nous allons tenter de le faire.

    « Mon histoire, c’est l’histoire d’un amour »

    4211 km est la distance qui sépare Paris de Téhéran, celle parcourue par Mina et Feyredoun pour fuir le régime d’oppression du chah d’Iran. Elle, professeure de philosophie, et lui, journaliste militant pour une gauche démocratique, obtiennent le statut de réfugiés politiques à leur arrivée en France. Peu après leur installation, Mina donne naissance à leur premier enfant, une fille prénommée Yalda.

    Cette jeune femme incarne la double identité, l’héritage familial lourd à porter, la quête de sens, l’émancipation et le devoir de mémoire. Yalda signifie naissance, celle de l’espoir de pouvoir un jour revenir au pays, de se blottir dans les bras de la famille laissée derrière soi, et de voir la fin des angoisses et des préoccupations pour ceux que l’on chérit. Cet espoir, ce souhait de vie intense, Mina et Feyredoun l’ont transmis à leur fille ; ils appellent cela résilience, et cela leur correspond tellement bien.

    Plus que du théâtre

    Bien sûr, il y a le texte magnifique, directement sorti des entrailles de Aïla Navidi. Un bouleversant récit de l’histoire de ses parents résistants rythmé par la chronologie d’une succession de régimes politiques sanglants et meurtriers. Une incroyable prouesse d’avoir su exposer à travers des dialogues et des échanges, des vérités implacables. Tout ce qui se voit et s’entend ne prône que de nobles sentiments, l’amour, la solidarité, la générosité. Mais chaque phrase se ressent comme un coup. La demande de naturalisation = une gifle. Le premier vote = une gifle. L’amour de la devise française = une gifle. Le premier emploi = une gifle. Chaque étape est un choc, une prise de conscience brutale. Merci pour l’éducation au racisme ordinaire. Il est essentiel de réévaluer notre relation à l’Autre. Écouter au lieu de juger, entendre au lieu de présumer, redevenir humain avant de s’affirmer citoyen.

    On ne peut ignorer la scénographie magnifique qui capture à la fois l’horreur des prisons iraniennes et la tendre émergence d’un premier amour. Sans oublier, les performances des comédiens et comédiennes sur scène, qui délivrent une véritable leçon de jeu. Ils sont merveilleusement ancrés, touchants dans leur douceur, puissants dans leur colère et émouvants dans leur quête de liberté. Vous nous avez transportés et marqués ; vous êtes inoubliables.

    À la fin du spectacle, tout bascule. On le ressent dans l’atmosphère, on le voit quand les lumières se rallument, nos regards rougis fixés sur la scène : un sentiment d’humanité s’éveille. Nous restons assis, eux debout devant nous, communiquant sans mots, une étreinte invisible, avec une seule idée en tête : « Nous avons compris ».

    La résistance, c’est la force de dire non. C’est aussi se placer du bon côté de l’Histoire, ne pas faire de concessions sur les valeurs humanistes, lutter contre ceux pour qui solution rime avec exclusion. A l’heure où des idées sombres frappent à nouveau à nos portes, cette piqure de rappel est salutaire. Edmund Burke disait « Le mal triomphe par l’inaction des gens de bien ». En hommage à Mina et Feyredoun, nous ne l’oublierons pas.

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