Grand Tour
Réalisateur : Miguel Gomes
Genre : Aventure, Comédie dramatique
Acteurs et actrices : Gonçalo Waddington, Crista Alfaiate, Teresa Madruga
Nationalité : Portugal
Date de sortie : 8 janvier 2025
Premier film de Miguel Gomes présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2024, Grand Tour s’ouvre sur les images d’une (petite) grande roue, actionnée à la main dans une foire de Rangoon en 1918, accompagnée d’une voix off annonçant le retour d’Edward, fonctionnaire de l’Empire britannique, passablement ivre. Cette entrée en matière fait office de programme : tel un forain malicieux, le cinéaste nous convie à embarquer pour un tour de manège fiévreux à travers l’Asie, sur les traces d’un homme fuyant lâchement sa fiancée la veille de son mariage.
Ce grand tour, donc, opère à plusieurs niveaux. D’abord, il s’agit d’un voyage itinérant à travers le continent asiatique, de Singapour à Osaka, en passant par Bangkok, Saigon ou encore Manille. Début du XXème siècle oblige, Edward chemine en train et en bateau à la découverte de cultures étrangères, réveillant ainsi le souvenir des dandys aventuriers européens du roman d’aventures, Phileas Fogg du Tour du monde en quatre-vingt jours en tête. Cet héritage littéraire s’accompagne regrettablement d’une certaine fétichisation de l’altérité, construction d’un exotisme fantasmé hérité de l’Occident colonial, que l’on retrouve ici et là dans le regard de Gomes. Notamment dans l’écriture de personnages secondaires, comme la servante vietnamienne Ngoc, douce et docile, qui ne tarit pas d’éloge à propos de son maître et sa supposée bonté.
Mais le périple auquel nous invite Gomes s’effectue également à un niveau temporel : à la trame narrative principale située en 1918, s’ajoutent des images documentaires tournées lors d’un voyage de repérages. On y découvre des scènes de la vie quotidienne, que le réalisateur tente laborieusement de greffer à son récit par le biais de superpositions et d’une voix off très didactique, en vain. Sensation de vacuité redoublée par la structure binaire du film (Edward et Molly effectuent le même trajet, successivement) qui épuise par sa redondance. Ne reste alors que le talent manifeste du cinéaste à faire éclore sporadiquement des visions saisissantes dans un noir et blanc charbonneux : ici, une femme jouant de la musique avec les épines d’un bambou ; là, des singes se prélassant dans un bassin à l’écart de l’agitation humaine.
In fine, ce grand tour opéré par Gomes est surtout celui de son propre cinéma. De cette intrigue fine comme du papier à cigarettes, le cinéaste tire une série d’expérimentations esthétiques marquées par l’opposition. Jeu de contraste entre le passé tourné en studio dans un factice kitsch assumé, et le présent de la réalité brute et authentique. Entre la couleur associée aux rêves, nombreux, et au déclinaisons du spectacle (marionnettes, théâtre d’ombre, arts martiaux, etc), et le noir et blanc du récit fictionnel et documentaire. Des audaces formelles se résumant hélas trop souvent à des « trucs » un tantinet agaçants (des injures remplacées par un « bip » sonore, un travelling arrière dévoilant le plateau de tournage), finissant par dresser un mur infranchissable entre le spectateur et ses émotions. Gomes a beau s’affairer à tourner la manivelle de son petit carrousel de cinéma, on reste sur place.