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    Hamlet. Un empoisonnement au clair de lune

    Il monte sur scène, avec sur son t-shirt cette première phrase en espagnol « Quién anda ahi ? » (Qui est là ?). Il nous regarde, se tourne ensuite vers un écran, imposant, occupant le noir de la scène. Sur celui-ci, une naissance d’un bébé, un accouchement en direct. Le plateau est dans la pénombre. Les autres acteurs et actrices, l’un.e après l’autre, rejoignent leur compagnon de jeu et viennent se placer de dos, face à l’écran, face à cette naissance, la leur, la nôtre.

    Puis, les choses sérieuses commencent. Ils sont là pour jouer Hamlet. Sauf qu’ils sont aussi porteurs du syndrome de Down, tous et toutes. Et que la metteuse en scène, Chela De Ferrari, de cet argument promotionnel, en fait le cœur même du spectacle, son centre d’intérêt. Il s’agit d’un classique adapté de manière différente dans le processus même de la création. Le groupe sait d’où il vient, où il va et tient à nous le dire, à nous le communiquer de manière simple, dès le début, la lumière se faisant sur le plateau. Ils et elles savent que le débit de leur parole sera peut-être bégayant, troué, grimaçant, ils et elles savent ce que sont que l’infantilisation, l’humiliation, le mépris mais ce soir, ils et elle savent aussi que leur présence sur scène est légitime.

    Alors ce soir, ils seront Hamlet et Ophélie, elles seront Claudius et tous les autres. Les rôles circuleront. On conviera des grands noms sur scène, Sir Laurence Olivier, dont on cherchera d’abord à copier l’élégante posture hiératique, ou Ian McKellen, qui de ses plus de 80 ans, illumine le plateau de son sourire ravageur en répondant aux questions. La scène clé, « être ou ne pas être », circulera elle aussi, sans être écrasée par ces illustres représentants antérieurs. Chacun chacune, ou presque, interprétera cette figure type, cette phrase représentant le théâtre, l’humanité. Derrière le sujet, l’interrogation sur la mort et la folie, une envie militante d’exister face au monde.

    Hamlet, ce sera donc aussi un cri de révolte, une prise d’assaut du plateau, l’expression d’un ras-le-bol. « Moi aussi, je veux qu’on me regarde pour ce que je suis vraiment, et non pour ce que vous aimeriez que je sois. Moi aussi, je veux exister, vivre ma vie ». Les mots seront assénés, martelés avec le pied.

    Si longueurs il y a, on les écartera du bras pour célébrer des vrais morceaux de bravoure  : ce moment où cet acteur monte sur un siège, dans le public, et exprime, en bégayant, comme il serait difficile pour un acteur neurotypique (considéré dans la norme) de jouer comme lui, et comme au contraire il a envie de jouer même si les mots s’échappent de sa bouche sans qu’il les contrôle tout à fait, nous obligeant à revoir la définition du « jouer juste ». Dans cette autre scène, les rires fusent quand le groupe demande à quatre personnes du public de rejoindre le plateau, et que ce même groupe prouve par A + B qu’il se débrouille bien mieux que des neurotypiques pour jouer une scène pourtant « simple » : un empoisonnement au clair de lune au gré de la brise se faufilant dans les arbres.

    L’émotion pointe le bout de son nez plusieurs fois durant la pièce, une émotion qui touche non pas la sensiblerie mais le vécu réel (que l’on pense réel, du moins, car après tout, nous sommes au théâtre) de ces acteurs et actrices peu visibles dans la société, sur scène et en-dehors. Leurs forces et leurs faiblesses sont exposées sur le plateau, ils et elles ne s’en cachent pas, et ne cherchent pas à s’en cacher.

    L’émotion monte crescendo à la fin du spectacle, quand ce crâne déambule dans la main d’un acteur et qu’une caméra permet d’exposer au public les peurs, communes à tous et toutes, face à ce qu’il représente : la mort, l’oubli, l’abandon. Hamlet, c’est donc un mélange d’humour, de rire, de mélancolie et de tristesse, avec de la vidéo, de la danse, des adresses au public, un crâne, un serpentin, des interviews. C’est surtout une troupe d’acteurs et d’actrices qui se soutient, se supporte, s’embrasse des yeux et du visage, c’est beaucoup d’humanité, c’est une très forte présence sur scène, qui se terminera dans la joie et la musique, une invitation à la danse.

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