Titre : Vous vouliez ma chaleur, vous aurez mon feu
Autrices : Paulo Higgins
Editions : Hors d’atteinte
Date de parution : 23 août 2024
Genre : Roman
Paulo Higgins raconte sept jours de la vie de Mario, loin de Marseille et plus exactement à Paris (Aubervilliers). En traversant les rues et les quartiers gay de la ville qui l’a vu devenir qui il est, Mario se remémore ses ex, parle de ses ami.e.s, souhaite rencontrer un mec Grindr pour qu’il l’emmène dans une nouvelle boîte à thèmes sexuels, tout en décrivant les malheurs et les joies de son identité première, qui occupe parfois tout l’espace, celle d’un homme trans.
Pour le dire assez platement, vu que la réflexion tourne essentiellement autour du sexe et du genre, Paulo Higgins donne à voir sept jours de la vie d’un homme gay avec une chatte. Est-ce un monstre de foire ? Un objet de fascination ? Un fétiche ? Un atout féministe ? Un token qui représente tous les autres trans ? L’auteur explique à quel point le corps de Mario fascine, répulse, éblouit et comme il est difficile pour lui de trouver une place juste, ou juste sa place.
Le livre est divisé en moins d’une dizaine de parties, découpées en journées (jour 1, jour 2,…). L’écriture est directe, incisive et ne tourne pas autour du pot. Le personnage principal n’a rien à cacher, il ne saurait pas se cacher, il est trop visible, même s’il « passe » physiquement pour un homme, il doit encore jouer l’homme qu’il veut être dans la rue. Higgins n’est pas provocateur, il dit les choses telles qu’elles sont, d’une belle écriture, honnête et travaillée simplement, et expose les réflexions que Mario entend, les situations que celui-ci vit, s’appuyant peut-être aussi sur son histoire de vie personnelle ou celle de de son entourage.
Vous vouliez ma chaleur, vous aurez mon feu, en plus d’être un très beau titre, est un magnifique ouvrage rageur mais pas enragé, sur les hommes et les masculinités. Pour avoir été une femme hétéro d’abord, bisexuelle ensuite, puis lesbienne pour enfin devenir un homme gay, Mario a pu vivre au sein d’hommes en observant les dynamiques changer en fonction de son genre et de sa sexualité performée à travers son genre. S’il en veut aux hétéros, dont il essaye de s’éloigner ou de se tenir à distance le plus possible, il analyse finement la conduite individuelle et collective des hommes, les homos, les trans, les hétéros sociaux, avec leurs contradictions et leurs paradoxes.
C’est un livre plein de feux, de liberté d’être, qui est cependant couplé avec la mort qui rôde et le danger. Paulo Higgins n’enjolive pas, que du contraire. C’est un combat permanent, pour Mario, avec lui d’abord, pour accepter qui il est, ce qu’il est, ses envies, ses besoins, ses folies, ses addictions (au sexe, à la drogue, à l’alcool). C’est un combat aussi avec la société, pour d’abord vivre avec la violence, et les nouvelles régulières de la mort de ses ami.e.s, l’espérance de vie d’une personne trans étant moindre que la « normale ». Il tente de trouver une certaine sanité d’esprit dans ce monde étouffant et y arrive en s’écoutant et en restant proche de sa famille d’élection.
Car c’est un roman queer s’il en est, qui fait la part belle à la famille d’adoption, souvent des ex, mais pas uniquement. Si la famille qui nous a vu naître n’est pas secure, c’est dans le choix d’ami.e.s proches de qui il est que Mario peut se permettre d’exister librement. Des personnes soutenantes, aimantes, critiques, avec qui les choses sont dites et dépassées. C’est aussi un roman sur l’amitié.
Vous vouliez ma chaleur, vous aurez mon feu est un roman de fougue et de colère, d’apaisement et de drogue, d’apprentissage. Mario, et peut-être également son auteur à travers lui, y dit tout ce qu’il a sur le cœur, sur les hommes hétéros, les femmes féministes, les gays, sans généraliser pour autant, mais semblant partir de situations vécues ou vraisemblables. À l’intersection de tout ce bazar, Mario vit sa vie, performe son genre, baise, se fait baiser, se drogue, aime. Ce n’est pas une vie facile, ce n’est pas une vie fantasmée dans les expos bobos LGBTQIA+ des grandes capitales européennes branchées, ce n’est pas un mythe, c’est une vie de hauts et de bas, de très hauts et de très bas. Une vie d’homme, qui apprend à se connaître, avec ses failles et ses faiblesses, pour mieux vivre comme il le souhaite.