Crédit photo : Ezelstad
Entretien avec Claude Enuset et Magda Dimitriadis au sujet de Cour Intérieure
Oubliez tout ce que vous pensiez savoir sur le théâtre, il reste encore de nombreux sentiers à battre. Celui que nous empruntons aujourd’hui nous emmène à Schaerbeek où un metteur en scène en recherche d’un nouveau rapport au public, plus proche, a ouvert ce week-end Cour Intérieure, un lieu autour du théâtre qu’il a inauguré le 22 novembre avec Le cas étrange de Dr. Jekyll et Mr. Hyde dans le fond de sa cour.
Peut-être plus que toute autre forme d’art, le théâtre a su s’adapter aux circonstances. Des amphithéâtres romains au parvis des églises en passant par les salles que nous connaissons, il est en mutation permanente. Contrairement au cinéma qui semble s’éloigner petit à petit des salles, le théâtre reste l’art social par excellence : il réunit une communauté. A l’heure du chacun pour soi, il est peut-être temps de mettre en avant cet aspect de l’art de la scène, un peu comme Claude Enuset, qui l’invite – et vous avec – chez lui.
Claude Enuset est un autodidacte. Assistant à la mise en scène, metteur en scène, il a travaillé dans plusieurs théâtres, notamment à l’XL théâtre, aux Galeries, au Varia, au Public, au théâtre des Martyrs. A l’aise dans tous les contextes, il a monté des gros spectacles et aussi des spectacles beaucoup plus petits. Et ces dernières années, déçu de ne pas être plus en contact avec le public, il a décidé d’explorer de nouvelles voies théâtrales. Il y a deux ans, il montait Cuisine et dépendances du duo Bacri/ Jaoui dans le salon d’un ami. Cette expérience anima chez lui l’envie de sortir le théâtre de son contexte car il y a découvert un rapport différent au public, un rapport de proximité.
Claude Enuset travaillait déjà depuis longtemps sur une position rapprochée entre comédien et spectateur, notamment au Zone Urbaine Théâtre où il a mis en scène Ruby Moon (2005) dans ce même esprit avec un public qui entoure l’espace de jeu. Au Théâtre des Martyrs, il avait déjà monté Haute surveillance de Jean Genêt (2004) avec un jeu à 360 degrés. Au Varia, il va plus loin avec La Chute de Camus (2011) où le personnage joue entre les tables où sont assis les spectateurs, le faisant ainsi réellement participer malgré lui à l’espace scénique.
Après être passé par toutes ces expériences, l’idée lui vint d’aller plus loin et d’investir les deux pièces du fond de sa cour, un lieu totalement privé où il pourrait expérimenter des choses. L’idée est lancée, faire de cet espace privé une sorte de laboratoire théâtral convivial. En commençant chez lui, il espère diffuser ses spectacles chez des privés, dans des lieux divers. L’espace qu’il a dégagé peut accueillir jusqu’à 25 spectateurs avec un vestiaire, un bar qui sera peut-être en libre service, qui sait ?
C’est que Claude Enuset tient très fort à l’esprit de communauté, qui se développe à Schaerbeek plus que n’importe où ailleurs à Bruxelles. Exemple probant en est la librairie Cent Papiers qui vise, comme le projet de Claude, à rassembler une petite communauté autour d’idées et dans un esprit de découverte et de contact avec les autres : « La seule solution d’avenir, c’est de tisser des liens communautaires, des petites initiatives optimistes parce que si on attend, ça ne va pas se faire. J’espère que je vais donner l’envie autour de moi de créer ce genre d’initiatives. On est tous là dans ce métier qui est bourré de gens qui attendent, au chômage une grande partie de l’année ».
Main dans la main avec Magda, qui joue le rôle malicieux d’oeil extérieur et pourquoi pas comédienne d’une prochaine création, il veut créer un espace ouvert à d’autres comédiens. Mais ce n’est pas un théâtre qui ouvre ses portes. Pas de saison 2014-2015 en vue, mais plutôt l’idée d’accueillir des spectacles au gré des envies de ceux qui veulent les proposer. Car il veut réellement travailler en dehors du cadre rigide établi par les théâtres actuels et surtout ne pas reproduire les modes de fonctionnement de plus grosses structures. On y réserverait par téléphone, via les réseaux sociaux. Si une représentation ne compte que peu de réservation, on pourrait imaginer de téléphoner aux intéressés pour leur proposer de venir un autre soir, et si ce n’est pas possible, on avise. Tout est possible, vraiment. Un projet basé sur la liberté dans un cocon personnel au fond de sa cour où il s’adonne également à la permaculture.
« Maintenant, on va voir comment ça se passe et apprendre en faisant », comme il dit. Les deux premières représentations sont complètes et deux dates ont déjà été rajoutées, le 6 et 13 décembre (à bon entendeur…). Et comme le dit Magda, « on n’est pas obligé d’avoir un grand jardin pour faire un potager, on peut le faire dans sa petite cour ». De la même manière, pas besoin d’une grande salle pour faire du théâtre. C’est une démarche empreinte d’optimisme. A l’heure où il devient de plus en plus difficile de se faire une place dans des circuits culturels, il est temps d’explorer de nouvelles options et de casser les idées reçues. Face à la crise, il y a ceux qui attendent et ceux qui agissent. Et ces deux-là retroussent leurs manches et font ce qu’ils veulent, comme ils le veulent chez eux.
Claude Enuset pense qu’ « il faut repenser notre rapport au monde dans tous les aspects de notre quotidien sinon on court à la catastrophe. Mais du coup, tout est possible et on reste optimiste. L’être humain a très peur du changement, mais moi je trouve ça passionnant de chercher toujours ».