Titre : Le chagrin moderne
Autrice : Quentin Jardon
Editions : Flammarion
Date de parution : 28 août 2024
Genre : Roman
Paul a soudainement une idée qui surgit sur la route des vacances, dans la voiture quittant Bruxelles pour le Sud de la France, en compagnie de sa copine Clémence et de leur jeune fils Marius. Il va les abandonner, sur une aire d’autoroute. Quand il y réfléchit un peu, cette illumination n’est pas nouvelle. C’est juste que maintenant, la pensée se meut en acte possible. Quelle décision Paul va-t-il prendre ?
On suit ainsi durant la majeure partie du roman les protagonistes sur la route, alors que d’inévitables flash-backs nous racontent comment il en est arrivé là. Lui est humoriste belge et a réussi à décrocher une première partie d’un one-man show à Paris avant d’imploser complètement avec un sketch sur l’éco anxiété qui ne fait rire personne. Elle est responsable d’un magasin Carrefour, avec cette charge en plus que la société lui impose d’être maman, et veut se reconnecter avec son corps et ses sens en se lançant comme masseuse tantrique, au grand déplaisir de Paul. La description de cette vie d’humoriste amateur sur Bruxelles est amusante. Le fonctionnement du couple est amené par petites touches, de manière progressive. On se demande si Paul va oser et comment il oserait quitter son fils et Clémence qui le soutient (y compris financièrement) depuis leur rencontre, à l’âge de 16-17 ans.
Là où le roman bloque un peu, c’est peut-être en se focalisant sur le personnage de Paul, qui n’a pas accès ou dont on n’a pas accès à la psyché. C’est un garçon qui aime parler de ou montrer son pénis sur scène, a des réflexions homophobes sans en avoir l’air, et pour qui « sa floche » comme il peut l’appeler, semble avoir beaucoup d’importance. Quand il n’est pas obnubilé par son sexe comme un garçon de 16 ans, alors qu’il n’a quasiment plus de désir pour Clémence, c’est l’effondrement de la planète qui l’inquiète. On a alors droit à toutes les réflexions cyniques imaginables sur notre société humaine qui court à sa perte en mangeant des burgers tout en prenant la voiture.
Paul veut quitter sa femme et son fils, parce que sa vie le fait chier et que le monde capitaliste est un champ de ruine. Très bien, et après ? En-effet, en quoi quitter son couple changerait-il quelque chose à l’univers ? En quoi quitter Clémence permettrait-il qu’il aille mieux ? Rien n’est dit et c’est là que le bât blesse, même si on aura droit à une sorte de plot-twist (qui ne changera pas grand-chose à l’histoire). La colère surgira d’on ne sait où, en regardant les canards, pour faire face à nouveau à la vie qui arrive.
Quentin Jardon s’essaie à un style « à la Houellebecq », par son cynisme et sa description des objets quotidiens de consommation mais aussi par cette habitude (un peu irritante) de souligner en italique certains mots ou passages jugés importants (parce qu’ils diraient quelque chose sur notre monde, et d’autant plus qu’ils sont soulignés). Dans Le chagrin moderne, on y lit ce qu’on attend. Il n’y a pas de surprise, et comme un manque de confiance dans l’écriture. Le sujet, l’implosion d’un couple au XXIème siècle dans un Occident en manque de sens, est immense. Il faut cependant que Jardon vienne ajouter des personnages d’auto-stoppeurs/euses (dont un survivaliste) comme si lui-même avait conscience que Paul était un peu plat pour prendre en charge le récit à lui seul. L’auteur emploie aussi parfois des phrases inutilement compliquées qu’on doit relire pour ne pas forcément comprendre leur intérêt. C’est une envie de profondeur psychologique et politique autre face à la lente mort d’un couple et de ce monde dans lequel on vit qui aurait fait du bien.