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    White Bird in a Blizzard de Gregg Araki

    white bird in a blizzard affiche

    White Bird in a Blizzard

    de Gregg Araki

    Drame, Thriller

    Avec Shailene Woodley, Eva Green, Christopher Meloni, Shiloh Fernandez, Gabourey Sidibe

    Sorti le 12 novembre 2014

    À la fin des années quatre-vingt, un jour d’automne, Eve Connors, parfaite ménagère au physique de star de cinéma, ne rentre pas à la maison. Et elle ne rentrera pas. Pour Kat, sa fille de dix-sept ans, la vie continue, entre son petit ami pas très malin, ses visites chez la psy et ses amis pas vraiment branchés, dont elle partage l’ironie blasée. En apparence rien ne change, ou si peu. Pourtant, la jeune fille qui a tant haï sa mère à la dérive, fascinante beauté jalouse et dévastée par sa propre déchéance, se met à scruter par bribes, à travers ses souvenirs et ses rêves, la figure et la vie de cette femme absente, si étrangère, et à s’interroger sur sa disparition.

    Le ton de White bird in a blizzard rappelle celui de Mysterious skin, largement salué par la critique il y a huit ans. Gregg Araki y enveloppait le traumatisme vécu dans l’enfance par deux adolescents d’une atmosphère très singulière, entre chronique adolescente crue et onirisme aux frontières du fantastique. On retrouve ici le jeu avec les codes du teen-movie et sa légèreté apparente pour aborder une expérience adolescente dramatique. Le film est d’ailleurs adapté d’un roman de Laura Kasischke, qui aime à dépeindre l’envers du rêve américain et notamment du mythe familial à travers les ressorts fictionnels les plus menacés par les stéréotypes, ceux du mélo sentimental ou du récit d’anticipation.

    Comme dans Mysterious skin, Araki s’interroge sur la manière dont on vit avec les traumatismes : comment on les contourne, comment on les affronte, comment on bâtit, à partir d’eux, des fictions. En outre, la structure du film, construit sur une triple temporalité qui le rapproche du polar – le temps d’avant la disparition, les semaines qui la suivent, entre quotidien ado et rêves ouatés, les quelques jours pendant lesquels Kat, trois ans après, revient chez elle –, traduit l’importance accordée par Araki à la question de la mémoire, déjà centrale dans Mysterious Skin. Comment se débrouille-t-on avec les souvenirs ? Où les événements traumatisants vont-ils se perdre ?

    Toute la beauté, la subtilité et la richesse du film d’Araki résident précisément dans ce qu’il ne résout pas, dans sa résistance aux réponses toutes faites. On pense avoir devant nous un mystère, on est en réalité confronté à des énigmes intimes qui nous ramènent à la force des images, au dévoilement et au déni, aux surfaces qu’on décide ou pas de gratter.

    C’est cette intrigante tension, toujours exprimée sur le mode de la mélancolie douce, entre la disparition d’Eve et la construction de Kat, qui rend le film si puissant dans sa modestie apparente, soutenue par un sens aigu du rythme et une grande maîtrise, tant scénaristique qu’esthétique. Comment disparait-on ? Comment, derrière le visage si lisse d’Eve, échouée dans un pavillon de banlieue américaine et un pauvre mariage, quelque chose avait déjà disparu ? Et comment se construit-on, à l’âge où l’on tremble de désir, avec le fantôme d’une mère déchue, ayant sombré tout au bout de l’amertume et de l’ennui – voire pire ?

    Portrait de famille porté par un trio d’acteurs parfait (Shailene Woodley, Eva Green, Christopher Meloni), oscillant entre la pudeur et la révélation, White bird in a blizzard s’insinue sans fracas dans l’intimité des personnages, en laissant vivante la part de mystère et de silence qui entoure les relations entre Kat, en plein détachement adolescent, son père gentil et effacé, désespérément amoureux de sa sublime femme qui le méprise, et cette dernière dont il ne reste rien. Ni tout à fait opaques, ni tout à fait clairs, ils sont comme recouverts par cette fine pellicule de neige qui parcourt les rêves de Kat, image du flou, de l’enfouissement mais aussi de la préservation et de la pureté. La neige tisse ainsi un rapport aux absents, à la mémoire et au temps, à la vérité et à ses crevasses.

    Troublant récit de l’effacement – effacement de l’enfance, de ses lieux et de ses personnages, effacement d’une époque chère au cinéaste, restituée à travers les sons de Joy Division ou Depeche Mode – White bird in a blizzard nous rive au regard d’une survivante, survivante du malheur des familles et de l’adolescence. Narratrice de l’histoire tout au long du film, sa voix off, dans les derniers instants, se détache sur le bleu d’un ciel limpide et lumineux : après le blizzard, la vie continue.

    Emilie Garcia Guillen
    Emilie Garcia Guillen
    Journaliste du Suricate Magazine
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