Actuellement en résidence à la Villa Empain, la photographe et vidéaste Amélie Berrodier présente un travail qui se veut le portrait d’une architecture, d’une institution d’art contemporain et du personnel qui y travaille.
Diplômée de l’École Nationale Supérieure d’Art de Dijon, Amélie Berrodier (1992) vit et travaille à Bruxelles. Dans son œuvre, elle sonde le portrait photographique, l’histoire du portrait et les usages sociaux qui en découlent. Elle élabore des protocoles de captation et de production qu’elle répète pour réaliser les œuvres qui composent ses installations. Elle crée aussi des objets en lien avec la photographie sous sa forme technique qui impliquent d’autres médiums. Partant de recherches documentaires et procédant par ajout de couches successives, il s’agit pour elle d’évoquer, de parler du portrait sans nécessairement montrer des visages.
On avait déjà remarqué son travail lors de l’exposition « Family Matter » en 2023, où elle présentait « Le Repas ». Cette vidéo de 38 minutes montre plusieurs personnes autour d’une table, la nourriture devenant prétexte à partage ou excuse pour se réunir. Sauf que le protocole de la vidéo impose aux acteurs un silence que seuls les bruits des couverts et des chaises viennent troubler.
Le travail qu’elle présente aujourd’hui a été entamé en 2022 alors qu’elle était déjà en résidence à la Villa Empain. Il a été mis sur le côté par un autre projet avant d’être remis sur le métier en début d’année. Amélie Berrodier a imaginé l’exposition « Collection » dans ses moindres détails, de la conception à la communication qui doit l’entourer, en passant par la disposition des œuvres et la détermination du prix des produits dérivés.
L’artiste a réalisé des capsules vidéos montrant les membres de l’équipe qui travaillent à la Villa Empain dans les décors de ce temple de l’Art déco imaginé par l’architecte suisse Michel Polak. Ainsi, elle a filmé la personne qui s’occupe de l’entretien des lieux, les gardiens des œuvres qui surveillent les salles et qui sont dans l’attente tout au long de la journée, mais aussi plusieurs membres du personnel administratif.
Réalisés in situ, ces films dressent également un portrait général de l’espace et de son architecture monumentale. Les fenêtres, très présentes et révélatrices de cette architecture, constituent en quelque sorte le fil rouge qui relie toutes les capsules vidéos. « C’est un espace qui m’intéresse, explique-t-elle. Entre l’intime, à l’intérieur, et le public, à l’extérieur, la fenêtre représente la frontière entre les deux ».
Toutes les vidéos sont réalisées en un plan fixe et leur longueur est fonction de la durée du temps de travail des personnes filmées. Ainsi, pour les gardiens, étudiants travaillant à la journée, la durée est d’environ deux minutes (1m55, exactement), pour un quatre cinquième temps, comptez plus ou moins six minutes. Les vidéos sont présentées de différentes manières. Celles des gardiens sont projetées dans la salle du rez-de-chaussée quasi en échelle 1/1 soit grandeur nature et activée par un détecteur de mouvements. Dans la salle vue de l’extérieur, il ne se passe rien. Il faut pénétrer dans l’espace pour que la projection commence. Les gardiens sont également disséminés dans d’autres espaces comme à l’étage, dans les salles avec de grandes fenêtres qui sont plongées dans la pénombre, tout comme l’espace central.
Au début de son travail de résidence, Amélie Berrodier a dû décider du nombre de vidéos qui seraient présentées. A partir de là, elle a réalisé un plan d’exposition avec l’intention de reprojeter chaque fenêtre à l’endroit où elle a été filmée. A partir du plan qu’elle a concocté avec la chargée d’exposition de l’institution d’art contemporain, elle a souhaité aller plus loin et interroger le dispositif même de l’exposition.
Elle a également imaginé toute la communication qui entoure l’événement et ses supports : affiches, kakemono (affiche ou un panneau imprimé sur un support souple et plastifié et pouvant être déroulé, accroché au mur ou sur les mâts), invitation au vernissage, dépliant d’exposition comprenant une petite biographie de la personne filmée, communication numérique, communiqué de presse, catalogue, pour lequel elle a réalisé des photomontages où l’on voit les œuvres projetées dans les murs de la villa.
Au-delà de l’exposition elle-même, Amélie Berrodier qui, rappelons-le, aime à travailler par couches successives, entend aborder différentes thématiques au cœur ou en périphérie du travail artistique. Ainsi, l’artiste a disséminé dans les images captées des indices sous forme d’objets, d’accessoires comme les badges d’accès, des cadres vides. Ces indices font référence à l’espace d’art de la photographie et, partant, explorent l’essence de ce qu’est une institution d’art contemporain.
Le projet prévoit également de mettre en vente tous les objets de communication réalisés autour de l’exposition : affiches, kakemono, dépliants… Amélie Berrodier a poussé le détail jusqu’à définir le prix de vente de ces objets en tenant compte du prix de revient (support, réalisation technique, …) et de la valeur artistique. Elle entend de cette façon interroger globalement la rémunération des artistes mais aussi simplement se rémunérer elle-même puisqu’elle ne dispose actuellement d’aucune bourse.
En matière de communication, l’artiste porte une attention aux réseaux sociaux, à leur influence et à la véracité de ce qui s’y trame : ce que l’on voit, ce que l’on ne montre pas, … Dans cet esprit, l’exposition empêche le visiteur de voir les espaces autrement qu’en vidéo. Il ne peut donc effectuer sa visite que par le biais de l’artificiel, de la reproduction filmique.
Amélie Berrodier a beaucoup réfléchi à des éléments qui puissent emmener le projet ailleurs, le prolonger dans une autre réflexion. Par exemple, la Villa Empain dispose d’une splendide piscine mais il faut savoir qu’il est strictement (très strictement) interdit d’y plonger. Une séquence est consacrée à cet interdit de façon très ironique. Elle est présentée dans la dernière pièce comme pour ouvrir une perspective différente.
Infos pratiques
- Ou? : Fondation Boghossian, Villa Empain, Avenue Franklin Roosevelt, 67 à 1050 Bruxelles
- Quand? : les samedi 15 et dimanche 16 juin 2024 de 11h à 18h.
- Combien? : entrée libre