Scénario et dessin : Fabien Toulmé
Éditeur : Delcourt
Sortie : 5 juin 2024
Genre : Reportage, Témoignage
Destins individuels, aspirations universelles
Comme dans le tome précédent des Reflets du monde, Fabien Toulmé procède du particulier au général pour traiter de son sujet. L’auteur-dessinateur se met en scène en train de collecter les témoignages d’individus aux quatre coins de la planète pour confronter leurs expériences les unes aux autres. Aux États-Unis, il rencontre un homme d’affaires qui a décidé de tout plaquer pour devenir musicien après la crise du COVID-19. En Corée, il suit la tournée d’un livreur indépendant qui travaille pour une grande plateforme de commerce en ligne et dont le rythme effréné lui laisse à peine le temps de dormir. Aux Comores, il découvre les efforts d’une ONG pour rendre les méthodes de travail plus durables et équitables dans la production d’huiles essentielles. À chaque fois, l’alternance des couleurs (les planches sont toujours en bichromie mais la palette de couleurs utilisée est large car elle change d’une scène à l’autre) permet de marquer les passages entre passé et présents, et entre différents lieux. Entre chacun de ces voyages qui constituent les trois grands chapitres de l’album, des intermèdes permettent au lecteur de faire une pause en passant du niveau micro au niveau macro grâce aux analyses de théoriciens comme Dominique Méda, spécialiste de la sociologie du travail.
Comme le suggère le titre, « Et travailler et vivre », la question centrale reste la difficulté de trouver le juste équilibre entre la vie professionnelle et la vie tout court. Si les pauvres sont souvent contraints de travailler pour vivre, même les plus riches tombent parfois dans un engrenage malsain qui les amène à vivre pour travailler, au détriment de leur bien-être et de celui de leurs proches.
Une grille de lecture techno-sceptique
Expert de la BD-reportage, Fabien Toulmé parvient à donner une progression logique à ses pérégrinations, donnant au lecteur l’impression de reconstituer petit à petit un puzzle pour mieux comprendre le sujet abordé. Les analyses théoriques, intégrées de manière très fluide au récit, sont malgré tout un peu décevantes dans la mesure où la grille de lecture apparaît un peu univoque. Il s’agit principalement de la vision de Dominique Méda. Si les arguments de la sociologue française sont tout à fait pertinents, sa vision du travail est particulièrement techno-sceptique et laisse peu de place à la considération des bienfaits potentiels apportés par les nouvelles technologies comme l’IA. Si on peut regretter cette impression de « c’était mieux avant », la lecture de Et travailler et vivre reste extrêmement intéressante. Fabien Toulmé reste une valeur sûre !