Scénario : Amaya Alsumard, Renaud Farace
Dessin : Renaud Farace
Éditeur : Casterman
Sortie : 24 avril 2024
Genre : Roman graphique
Les eaux du Mekong sont calmes, à peine contrariées par l’embarcation qui s’apprête à accoster. Il fait brûlant. Le ciel emprunte son jaune à Apocalypse Now. Malgré sa carrure, l’homme qui descend du bateau est mis à terre par le climat. Il éponge son front qui prend le soleil comme un flanc de montagne. Il fait trois têtes de plus que les locaux et a été missionné en Indochine en sa qualité de bûcheron. Mais son rôle n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. Les Français qui font régner l’ordre, et qui se considèrent plus comme des anges gardiens de la paix que comme des policiers, sollicitent son aide pour calmer le vent de révolte qui souffle sur le territoire. Le feu insurrectionnel s’embrase vraiment quand la milice décide de raser les arbres qui entravent le passage des voitures. En plus d’être une taupe, le bûcheron est le symbole de la soumission des administrés parce que son travail leur fait par définition violence. Et pourtant, Settimo ne tarde pas à montrer quelques réticences par rapport aux logiques coloniales.
Logique d’exploitation
Cette ambivalence, Settimo n’est pas le seul à la revendiquer. Renaud Farace et Amaya Alsumard affirment leur volonté de ne pas composer, dans ce récit, avec des personnages trop binaires. Il y a autant d’opinions du côté du pouvoir colonial qu’il n’y a de personnes, voire même d’intérêts. Tous ne sont pas d’accord avec la politique menée en Indochine. Mais pour la plupart, la morale a ses limites quand elle devient trop contrariante. Blaise l’aviateur anarchiste – hommage à Cendrars et à Saint-Exupéry – n’a pas les moyens de ses idéaux, sans cesse ramené sur terre par ses obligations vis-à-vis de l’aéropostale. Malgré toute sa générosité, Madame De La Souche n’en reste pas moins la propriétaire d’une plantation qui emploie à moindre frais des travailleurs locaux. D’ailleurs, pour conserver de bonnes relations avec les pouvoirs, son indulgence peut se raidir. Et puis, il y a bien sûr Settimo, figure un peu stéréotypée du bûcheron au grand cœur. Pour autant, les colons ne sont pas tous des amis dont l’engagement est tempéré par l’égoïsme. Certains personnages sont de vrais méchants ; des pilleurs, enorgueillis par le pouvoir.
À aucun moment, La querelle des arbres essaye de nier ce qu’elle est, à savoir une œuvre purement fictionnelle. Malgré tout, son point de départ est un évènement historique. Les auteurs prennent connaissance de la véritable querelle des arbres, celle qui s’est imprimée dans l’histoire du Vietnam, grâce à un guide de voyage. Les informations concernant la révolte sont lacunaires. Alors Farace et Alsumard composent. Plus que les dérives coloniales, ce sont nos logiques d’exploitation, des hommes comme de la terre, qui sont critiquées. La décision d’abattre des arbres millénaires qui ont pris racine dans la terre des ancêtres et dont la sève regorge de croyances sous-tend que la nature n’est qu’une ressource exploitable, parmi d’autres. Au même titre que la main d’œuvre locale. Loin des jeux formels de Duel, La querelle des arbres défend une vision classique de la narrativité. C’est peut-être pour laisser toute sa place à un sujet qui se veut, lui, moderne.