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    Les mille questions du “Club Zero”

    Club Zero
    de Jessica Hausner
    Drame, Thriller
    Avec Mia Wasikowska, Sidse Babett Knudsen, Amir El-Masry
    Sortie en salles le 29 mai 2024

    Est-ce qu’à vouloir parler de tout, on finit par ne parler de rien ? Sans complètement répondre à la question, on peut, pourtant, reconnaître que se borner à un sujet précis permet une grande exploration du discours et qu’un objet s’attardant à représenter une multitude de thématiques finira par n’élaborer que peu de messages sur chacune d’elle. En gros, si on parle d’un seul truc, on pourra avoir un propos plus poussé, et donc, possiblement intéressant, que si on parle de plein de choses à la fois. Oui, mais. Oui, mais si le but n’est pas de discourir, mais de montrer. De montrer comment des dynamiques apparemment éloignées peuvent s’entrecroiser et, ainsi, aboutir à quelque chose qui n’avait pas l’air, au départ, d’en être la conséquence. Alors, il devient nécessaire de s’intéresser à différents sujets. Club Zero, le nouveau film de Jessica Hausner, est clairement dans cette veine.

    Dès le pitch, on sent que quelques questions sociétales sont en jeu : une  professeur arrive dans une école secondaire de troisième degré réservée à une élite fortunée pour dispenser un cours sur la conscientisation de l’alimentation. Cependant, assez vite, les élèves de Mme Novak semblent pousser la philosophie de leur professeur plus loin que ce qu’est prête à accepter la norme.

    Prenons les choses dans l’ordre de la réflexion et non dans celle du film. Premièrement, Club  Zero dénonce les excès de la société néolibérale dans laquelle nous vivons. D’une part, le long-métrage s’attache à questionner la manière dont l’humanité, et a fortiori l’Occident, se nourrit. Prendre conscience de son alimentation, de son impact aussi bien sanitaire qu’écologique est un des enjeux dont l’importance est grandissante à l’heure du dérèglement climatique et de l’augmentation de maladies liées à notre mode de vie. Mais d’autre part, et de manière plus subtile, le film s’attaque aux valeurs travail et réussites économique tant appréciées par notre société. En effet, Club Zero montre des parents absents, égoïstes, qui malgré des millions de côté sont obligés de laisser leurs enfants en internat afin de pouvoir préserver leurs réussites professionnelles. Il est d’ailleurs intéressant d’observer que l’adolescent le plus en lien avec sa famille soit aussi le seul qui bénéficie d’une bourse pour suivre les cours de cette école. Pour revenir à cet internat, il n’a sans doute pas d’équivalents tant il profite du soutien financier des classes les plus aisées de la population. Mais la réussite économique des ainés se fait au prix de l’échec social et émotionnel de leurs rejetons. On touche, par ricochet, ici, à l’hypocrisie qui entoure cette sphère. Symbole de méritocratie, des parents qui travaillent beaucoup et qui gagnent plein d’argent, mettent leurs enfants dans une école qui les préparent à être l’élite de demain via une éducation des plus compétentes. Ainsi, quel mérite auraient-ils à devenir cette élite, puisqu’ils sont tout bonnement programmés pour ? Au-delà de ça, on aperçoit cette grande bourgeoisie sensible aux enjeux écologiques et sanitaires (c’est le comité de parents d’élèves qui demandent l’engagement de Mme Novak), mais dont le mode de vie (immense maison avec piscine, déplacements internationaux) trahit une idéologie qui se heurte à leurs désirs et à leur confort. Il y a même un grand déni, puisque certains aspects de cette idéologie (manger sain et diversifié, par exemple) ne sont possibles que grâce aux privilèges que leur accorde leur pécule.

    Mais revenons à cette absence de lien familial. La transition entre la fin de l’adolescence et l’âge adulte est moment charnière où s’effectue la socialisation secondaire. La première se fait pendant l’enfance, surtout au sein de la famille, lorsqu’il n’y a qu’un monde, qu’une seule possibilité. La seconde a lieu au moment où il est nécessaire de faire des choix, où, donc, l’identité se construit2. Elle est, ainsi, un terrain propice à une potentielle révolution de soi. Voilà pourquoi cette distance imposée par les parents à leurs enfants devient un enjeu fort, aux conséquences plus que délétères. D’une part, ils laissent possible l’omniprésence d’un nouveau mentor : le temps passé avec Mme Novak est immense par rapport aux courts weekends en famille. D’autre part, ce fossé intergénérationnel qui se creuse coupe la communication. Ainsi, les parents n’ont seulement accès qu’à quelques bribes de ce qu’il se passe à l’école, en différé qui plus est. Finalement, peu importe de savoir de quoi il est question, peu importe de savoir de quoi relève cette socialisation secondaire, elle pourrait avoir bien des aspects, le but du film est de montrer sa mise en place ainsi que les facteurs qui transforment ce processus naturel en quelque chose de bien plus dangereux : une radicalisation.

    Mme Novak, on le découvre au fur et à mesure, a une idéologie extrême, une idéologie qui a d’ailleurs tout ce qu’on peut faire de plus attrayant : un nom, un logo, une communauté. C’est le Club Zero. Un club, c’est un endroit où des gens partageant des valeurs communes passent du temps ensemble. Pour des êtres humains en pleine construction de leur identité et délaissés à la fois par leurs propres familles, mais plus généralement par leurs ainés (ici responsables de l’état pitoyable de la planète et de la santé de celles et ceux qui la peuplent, mais dont la faillite, véritable ou non, peut revêtir bien des aspects), un tel club, c’est un repère irrefusable, un peu de lumière dans un amas d’obscurité. Petit à petit, sous la supervision bienveillante et mielleuse de Mme Novak, les adolescents adoptent des pratiques de plus en plus extrêmes au nez et à la barbe d’une société dont ils se sont extirpés et à laquelle ils cachent cette exfiltration. Pour vivre heureux, vivons cachés.

    Ainsi, au croisement des préceptes néolibéraux souvent hypocrites et de leurs conséquences bien réelles, se trouve la révolution avec son vent de liberté, mais aussi avec les dangers qu’une redéfinition du paradigme peut apporter. C’est ce à quoi s’attèle à montrer Club Zero : comment l’absence de communication, comment le rejet sans écoute fait basculer l’équilibre social. C’est, d’ailleurs, peut-être ce qui le rend aride, puisque c’est un film et non un essai et intégrer autant d’intentions et d’enjeux sociétaux au sein d’une fiction est périlleux, car il en sort un objet complexe qu’il est difficile d’appréhender, qui parait tout mélanger, qui le fait peut-être. Quoi qu’il en soit, Club Zero mérite d’être vu, ne serait-ce que pour se faire son propre avis sur les thématiques représentées et sur les théories énoncées, ne serait-ce que pour en parler ensuite à d’autres, puisque c’est ce que prône le film : la communication et le dialogue.

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