Un p’tit truc en plus
d’Artus
Comédie
Avec Artus, Clovis Cornillac, Alice Belaïdi
Sortie en salles le 1er mai 2024
Au jeu des dilemmes qui sépare l’humanité en deux équipes à coups de « tu préfères » toujours plus sulfureux et insolubles, on peut ajouter celui-ci directement tiré de The Wire : plutôt « you cannot lose if you don’t play » ou « if you don’t play, you can’t win » ? Tenter quelque chose au risque de rater ou rester dans les clous et s’assurer de ne rien perdre ? Si, à première vue, une possibilité parait plus séduisante que l’autre, est-elle la réponse honnête de la majorité ? Au regard des sorties ciné, en tout cas, rien n’est moins sûr, car si on peut plus ou moins être certain du retour sur investissement d’un produit standardisé, la rentabilité d’un film qui sort de la norme, elle, est loin d’être établie. Ainsi, on peut accorder ça à Artus : avec Un p’tit truc en plus, he plays.
Pour sa première réalisation, celui qu’on connaissait jusqu’alors comme humoriste et comédien tente, c’est le moins que l’on puisse dire. Un p’tit truc en plus, c’est l’histoire d’un duo de braqueurs qui s’infiltre dans une colonie de vacances pour adultes handicapés mentaux afin d’échapper à la police. Déjà, parler de handicap mental, c’est rare, trop rare. Alors que les arts font, à raison, de l’inclusivité leur étendard, où sont les personnes dotées d’un handicap, qu’il soit moteur ou mental ? Où sont les acteurs handicapés dont on connait les noms ? Où sont les personnages qui feront date ? Avec son film, Artus ouvre un peu plus la fenêtre d’Overton, propose que le handicap mental fasse partie de l’imaginaire collectif.
Mais le sujet est glissant. Le risque est d’autant plus grand pour Un p’tit truc en plus que le long-métrage est une comédie. Là où la plupart du peu de films abordant le thème du handicap mental joue sur le pathos, le long-métrage d’Artus se veut drôle. Or, la limite qui existe entre le « rire avec » et le « rire de » est parfois très fine et, rire du handicap est absolument intolérable, comme il en serait de rire d’une couleur de peau ou d’une identité sexuelle. Avant, même, de juger de la réussite ou de l’échec de l’entreprise, on peut, donc, saluer son audace. On peut, qui plus est, se demander si la prise de risque ne va pas trop loin quand on sait que le personnage interprété par l’humoriste « joue l’handicapé » afin de passer incognito et ne pas se faire attraper par la police. Mal exécuté, c’est une dose de mauvais gout que rien ni personne ne pourrait compenser. Alors, comment le film évite tous ces écueils ? Parce que, oui, il faut bien le dire, bien qu’Un p’tit truc en plus ne soit pas parfait (quel film l’est ?), il réussit absolument son tour de force.
Tout d’abord, en confiant les rôles d’acteurs handicapés à de véritables handicapés mentaux. L’inverse aurait d’ailleurs été d’un malaise infini. Ensuite, en chamboulant le processus d’écriture. On se doute que demander à une personne porteuse d’un handicap mental de jouer la comédie peut être compliqué. Alors Artus a, dans un premier temps, fait son casting, puis écrit ses personnages, afin que tous les acteurs soient à l’aise avec la performance qu’ils devaient réaliser. D’une part, cette véracité se ressent, car, à aucun moment, on n’éprouve l’impression de gêne vis-à-vis d’un handicap forcé ou artificiel. D’autre part, elle est aussi un gage, une protection : « vous trouvez les personnages invraisemblables ? Désolé, ils sont vraiment comme ça ». Et pour ce qui est de celui qui joue à l’handicapé, le filon est assez vite évacué puisque les véritables handicapés se rendent rapidement compte de la supercherie et le personnage en question arrête, donc, sa performance lorsqu’il interagit avec ses partenaires et réserve sa comédie aux éducateurs, interactions assez secondaires finalement. Enfin, peut-être que le film évite beaucoup d’embuches en ne se focalisant pas sur le handicap. L’histoire est une comédie, celle d’un père et d’un fils en cavale, le reste n’est qu’un contexte.
On peut d’ailleurs regretter que l’aspect comédie prenne autant le pas au fur et à mesure, car il cadre de manière très (trop ?) classique un univers pourtant si original. On en viendrait presque à dire qu’on ne regarde pas Un p’tit truc en plus pour son histoire, mais pour voir ce qu’il s’y passe. Ce qui est, certes, dommage, mais assez compréhensible tant le film flirte avec la polémique et le mauvais gout. Une narration somme toute classique qui rassure des sociétés déjà courageuses d’investir sur un projet qui a un p’tit truc en plus.