The Fall Guy
de David Leitch
Action, Comédie, Drame
Avec Ryan Gosling, Emily Blunt, Aaron Taylor-Johnson
Sortie en salles le 24 avril 2024
Le temps passe. Outre la vacuité de cette vérité générale, derrière ce temps qui passe, il y a un paradigme qui bouge. Et en regardant ce paradigme, on peut voir ce qui est dans l’air du temps, ce qui a évolué en somme, et, à l’inverse, ce qui est immuable. Et The Fall Guy amène pas mal de réponses sur les choses qui changent et celles qui ne changent pas.
Pour ne pas changer les habitudes, présentons d’abord le film. The Fall Guy c’est l’histoire de Colt Seavers, un cascadeur de cinéma qui va devoir, pour retrouver l’acteur qu’il double, sortir de sa zone de confort et mettre en pratique des années d’expérience dans l’art d’éviter tout un tas de trucs dangereux qui lui fonce dessus et de tomber correctement de hauteurs fatales à tout être humain. Si le pitch parait familier aux plus anciens d’entre nous, c’est normal, le long-métrage est une adaptation d’une série des années 80, L’homme qui tombe à pic, dont il a repris le titre original, le nom de son protagoniste ainsi que sa fonction : la doublure héros d’un film d’action. The Fall Guy s’inscrit donc dans ce cinéma américain ne jurant que par l’adaptation, la saga ou « tiré de fait réel », un cinéma qui vise le succès par un objet préexistant, réel ou de fiction, un cinéma frileux envers toute nouveauté, car elle est synonyme de risques et le risque, ce n’est jamais bon pour l’économie. Preuve en est de cette politique, il faut descendre à la 17e place du box-office américain de 2023 pour trouver un long-métrage ne faisant partie d’aucune des trois catégories citées plus haut (adaptation, saga, biopic/tiré de faits réels). Le temps donc, ne semble pas changer, n’étant qu’une répétition inexorable d’un ancien remis au gout du jour.
Mais ce gout du jour, n’est-il finalement pas une nouveauté ? N’est-il pas une preuve qu’au contraire, les choses changent ? Parce qu’il n’y a, en effet, pas grand-chose à voir entre L’homme qui tombe à pic des années 80 et le Fall Guy d’aujourd’hui. D’une part, le Colt Seavers originel est un chasseur de prime lorsqu’il n’est pas sur les plateaux de cinéma, là où la version 2.0 est simplement balancée malgré elle dans une histoire qui la dépasse complètement. Ensuite, il est surtout question de ton et de thématique. The Fall Guy s’inscrit dans cette ligne éditoriale de l’Action Comedy née au début des années 2000 sous l’impulsion de réalisateurs comme Guy Ritchie, Matthew Vaughn ou, dans une moindre mesure, Edgar Wright, et devenue hégémonique dans le cinéma d’action, en particulier celui de superhéros, depuis le succès du premier volet des Gardiens de la galaxie en 2014. On pourrait remettre en question ce ton novateur en remarquant que cette particularité était déjà présente dans L’homme qui tombe à pic où plusieurs épisodes sont des pastiches de genres populaires de l’époque. Cependant, ne pourrait-on pas aussi y voir la raison même de l’adaptation de cette série et non d’une autre ? À une période où l’action avait sa part belle à la télévision, pourquoi avoir voulu adapter celle-ci, si ce n’est parce que son ton s’intègre parfaitement à l’air du temps ? On notera que le projet a déjà été discuté deux fois par le passé, en 2010 et en 2013, sans que quoi que ce soit n’aboutisse. L’Action Comedy n’était peut-être pas encore assez populaire pour prendre le risque d’investir plus d’une centaine de millions de dollars.
Quoi qu’il en soit, le film est une réussite à ce niveau-là : il croise merveilleusement le divertissement et l’humour. Qui plus est, on peut ajouter au fait que l’on ne s’ennuie jamais pendant le visionnage, une véritable volonté de déconstruire les imaginaires qui existent autour des questions de genres. Si, au départ, Colt vivait une romance avec une maquilleuse, celle-ci est finalement devenue une opératrice réalisant son premier long-métrage. De manière plus générale, les personnages féminins ne sont pas des victimes que le ou les héros doivent sauver, mais elles sont indépendantes et périphériques au monde du crime, se montrant d’ailleurs très compétentes lorsque celui-ci s’immisce un peu trop près d’elles.
Cependant, cette apparente modernité ne semble concerner que les mœurs. En effet, en fin de compte, qu’est-ce qu’on a ? Un film avec des blagues, avec des courses poursuites en voiture, des hélicos, des explosions, des armes, des bagarres et une romance cousue de fil blanc entre deux acteurs botoxés. Oui, il est important de parler de ce botox, parce qu’il est une autre preuve du temps qui passe. Cependant, Hollywood ne parait pas prêt à l’entendre. À respectivement 43 et 41 ans, Ryan Gosling et Emily Blunt semblent avoir cédé aux sirènes du bistouri, les faisant ainsi participer à la démocratisation toujours plus hâtive de la chirurgie esthétique. En standardisant tous ses acteurs, Hollywood construit un imaginaire inatteignable pour celui ou celle qui regarde. Créant dès le plus jeune âge des physiques qui n’existent pas (Anya Taylor-Joy, 28 ans et déjà rafistolée de partout ; Jenna Ortega, 21 ans qui suit le même modèle que son aînée à base de joues creusées et de mâchoire anguleuse), pour ensuite les figer à tout jamais, le cinéma hollywoodien est un vecteur de normes malfaisant tant il fait miroiter des physiques artificiels et éternels, des idoles complexantes au regard de nos physiques tristement banals.
Certes, ces acteurs n’ont pas de physiques plus imaginaires que les histoires qu’ils racontent et le problème ne se trouve pas là, car le cinéma de fiction est, comme son nom l’indique, fictionnel. Il n’a pas vocation à se cantonner au réel, au vraisemblable. Il est tout à fait compréhensible que le 7e ait très vite eu cette volonté de briser la réalité, de faire voyager son spectateur loin de son quotidien. Mais qu’on le veuille ou non, tout est politique, tout porte et diffuse un message, et ce, même si l’unique but de l’œuvre en question est de divertir. Ainsi, on peut très bien imaginer un grand divertissement tout public qui éviterait l’écueil du film d’Action Comedy classique ne s’impliquant aucunement dans la réalité qui est la nôtre, niant le monde autour de lui, ne vivant que dans un imaginaire figé dans du botox. Parce que The Fall Guy est un film d’action comme il en sort plusieurs dizaines par an, depuis dix ans, au minimum. Un film qui ressemble à tous les longs-métrages de David Leitch, cachant sa vacuité derrière du cool. Le temps passe, mais The Fall Guy entre tellement dans les standards du moment qu’il parait déjà désuet, ou, en tout cas, bien inutile.